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dans l’administration. C’était le programme d’une législature, d’un gouvernement que le vote populaire venait de tracer instinctivement. La plupart des républicains eux-mêmes en convenaient au lendemain des élections, lorsqu’ils avaient encore le sentiment de la crise à laquelle ils venaient d’échapper par un succès presque inespéré. Six mois sont passés depuis, on dirait que des années se sont écoulées, que tout est déjà oublié, et c’est là justement la première cause de cette impuissance turbulente et confuse où l’on se débat aujourd’hui sans prévoyance et sans direction.

A peine rentrés dans cette atmosphère factice du Palais-Bourbon, des réunions plénières, des intrigues de couloirs, les élus de la veille, tout fiers de se retrouver une majorité, oubliant lestement le pays, semblent n’avoir plus songé qu’à exploiter leur victoire, à exercer leurs petites représailles, à renouer leurs combinaisons de parti. Les modérés, qui avaient eu quelque succès, sont passés on ne sait où ; ils reparaîtront sans doute quelque jour, — pour le moment ils ont disparu, ils sont restés silencieux. Tout ce qu’ils ont pu a été de ne pas mêler leur voix à celle de M. Ribot, qui a prouvé sa modération et son tact politique en déployant son éloquence contre les influences cléricales. Les radicaux ont repris leur hardiesse et n’ont rien négligé pour imposer bruyamment leur domination en intimidant les indécis de l’opportunisme. Entre tous ces camps, le gouvernement, ahuri, renonçant à avoir une volonté, passe depuis trois mois son temps à louvoyer, à se donner une apparence de maintien, à flotter entre tous les partis, et, en définitive, à plier aux premières injonctions des radicaux. Ils sont là, tous mêlés, gouvernement et partis, impuissans à former une majorité et à donner au pays ce qu’il demande, allant au hasard, toujours prêts à accumuler sans réflexion les inconséquences et les fautes. Ils ne peuvent s’en défendre, soit qu’ils provoquent par des invalidations systématiques de nouvelles élections boulangistes, comme les dernières élections de Paris, soit qu’ils se trouvent en face de quelque incident imprévu, comme cette affaire où un jeune prince, à la hardiesse généreuse et séduisante, a suffi pour troubler leur sang-froid depuis la première jusqu’à la dernière heure.

Eh ! sans doute, elle a mal commencé, elle finit plus mal encore, cette étrange affaire où, pour n’avoir pas eu au début une idée nette, un peu de résolution, on a été entraîné de faute en faute, sans qu’on soit arrivé au bout. Et s’il en est ainsi, c’est qu’il n’y a pas eu un gouvernement ayant le sentiment vrai et politique des choses, sachant se dégager des petitesses de parti et accepter sans faiblesse la responsabilité d’un acte de prévoyance. On s’est exposé à s’entendre dire brutalement par un journal anglais qui n’est même pas des plus hostiles, le Times, que décidément « un homme d’état ne s’improvise pas plus qu’un cordonnier, et que pour être capable de gouverner une nation