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dire autant ? Psychologue, longtemps avant que ce mot fût à la mode, et moraliste ingénieux, pénétrant, profond, personne encore n’a parlé mieux que lui de quelques-uns de nos grands écrivains, et en particulier de Pascal, — le Pascal des Provinciales, mais surtout celui des Pensées, — non pas même Sainte-Beuve, et encore bien moins Victor Cousin. C’est quelque chose, et c’est même beaucoup, si nos jugemens nous jugent nous-mêmes, et que de bien parler de quelques hommes extraordinaires, ce soit, pour ainsi dire, se mettre un peu de leur famille. Ni Cousin ni Sainte-Beuve n’étaient de la famille de Pascal. Et ce fut enfin une âme haute et noble, une de ces âmes rares, qui sont naturellement, ou nécessairement, pour beaucoup de raisons, plus rares en critique qu’ailleurs. Car, vous ne croyez pas sans doute, — je ne nomme ici que des morts, tout à fait morts, — vous ne croyez pas qu’ils eussent l’âme noble, les La Harpe ou les Fréron ? Aussi, bien des choses leur ont-elles échappé, toutes celles qu’on nomme à peu près des mêmes noms en morale et en littérature : délicatesse du sentiment, distinction de l’esprit, élévation de la pensée, toutes ces qualités plus intimes et par conséquent plus cachées, qui peuvent autant pour faire durer les œuvres que la vérité de l’observation, que la richesse de l’imagination, que la splendeur du style. Mais c’est précisément ce que Vinet a le mieux connu, ce qu’il a le mieux mis en lumière, et c’est ce qui fait l’entière originalité de sa critique. Ce qu’il y a de plus noble dans la littérature ou de plus exquis, voilà ce qu’il a le plus profondément senti lui-même, et le mieux exprimé ; et il est bien possible que ses livres ne soient pas des livres, qu’ils ne soient que des notes, et des notes souvent mal écrites, mais voilà cependant ce qu’on ne trouvera, ce que du moins, pour ma part, je n’ai jamais trouvé qu’en eux.


F. Brunetière.