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électrique trop chargée. C’est un feu roulant de choses ingénieuses. Ce sont des allusions, des intentions, des comparaisons qui se croisent, qui s’enchevêtrent et qui finiraient par éblouir, si le tout n’était soutenu d’un dessin ferme et net. » C’est à peu près ainsi que l’on pourrait louer le style de Marivaux ; et comme, par malheur, il n’y en a pas qui soit moins convenable aux idées que traite habituellement Vinet, on ne saurait, à notre avis, en croyant servir sa réputation d’écrivain, lui nuire davantage.

A vrai dire, il est lourd et précieux, lourd quand il s’abandonne, et précieux quand il se travaille, avec moins d’esprit, comme la plupart des précieux, que d’envie d’en avoir. Ses allusions me déroutent, ses intentions m’importunent, et ses comparaisons m’affligent. « L’esprit humain marche par antithèse et par réaction : il ressemble au pendule, dont les oscillations vont sans cesse de gauche à droite et de droite à gauche. Mais le pendule demeure enchaîné ; la valeur de l’une de ses oscillations est perpétuellement compensée par celle de l’autre ; tandis que l’action et la réaction de l’esprit humain ne se détruisent pas complètement : il reste toujours un excédent, et ces excédens additionnés forment la somme des progrès de l’esprit humain. » Voilà de ses comparaisons ; et voici de ses images : « Au sein du bassin limpide, mais profond, où s’arrête l’esprit du XVIIe siècle, on entrevoit la forme du monstre qui doit plus tard arriver au jour. » J’en citerais bien d’autres encore, s’il le fallait, mais je me le reprocherais à moi-même, et ces exemples suffisent à prouver que Vinet, qui a si bien parlé du style des autres, n’a pas eu, pour lui, le sentiment du style. Encore une fois, il écrit mal, et les défauts de sa manière d’écrire sont justement ceux de tous qu’on pardonne le moins au critique et à l’historien.

Que restera-t-il donc d’Alexandre Vinet ? Car je ne l’ai pas assez dit, en termes assez clairs, et c’est par là que je veux terminer. Il en restera tout d’abord ce que l’on pourrait appeler un penseur dans la critique et dans l’histoire de la littérature, abondant et fécond en idées, qu’il n’a pas eu la force ou le temps de développer lui-même, et qu’ainsi nous pouvons lui reprendre pour nous les approprier. C’est ce que savent bien tous ceux qui ont pratiqué ses Moralistes français, ou ses Poètes français sous Louis XIV, ou son Histoire de la Littérature française au XVIIIe siècle, ou ses Études, le premier volume surtout de ses Études sur la littérature française au XIXe siècle, où il a si bien parlé de Chateaubriand et de M, ne de Staël. D’autres amusent ou charment, si l’on veut, davantage, comme Sainte-Beuve ; et d’autres, comme Nisard, ont cette supériorité sur lui, d’avoir mis tout leur talent et donné leur mesure dans un livre durable ; Vinet fait penser ; il aide surtout à penser, ou mieux encore il y excite ; et, de combien de nous en peut-on