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REVUE MUSICALE

Théâtre de la Monnaie de Bruxelles : Salammbô, opéra en 5 actes et 7 tableaux, tiré du roman de Gustave Flaubert, par M. C. du Locle, musique de M. E. Reyer. — Théâtre de l’Odéon : Egmont, de Goethe et Beethoven.

Un de mes amis, écrit Sainte-Beuve dans un des trois articles, peu enthousiastes d’ailleurs, qu’il consacra jadis à la Salammbô de Gustave Flaubert, un de mes amis, qui n’est pas Français, il est vrai, et qui est sévère pour notre littérature, me disait : « N’avez-vous pas remarqué ? Il y a toujours de l’opéra dans tout ce que font les Français, même ceux qui se piquent de réel. » Il y a, en effet, beaucoup d’opéra dans Salammbô, et l’on ne pouvait manquer de chercher un libretto dans l’œuvre colorée, plastique, puissante et écrasante de Flaubert, la plus imaginaire à coup sûr et la plus artificielle qu’ait jamais composée le créateur, un peu surfait aujourd’hui, du réalisme contemporain. M. Reyer, le plus capable peut-être parmi nos compositeurs actuels, de mettre ce vaste sujet en musique, n’y a pourtant réussi qu’à demi. Il a renversé dans sa partition le rapport qui existait dans le roman entre les divers élémens du sujet. Chez Flaubert, Salammbô, malgré le titre même du livre, et le zaïmph, bien que la possession de ce voile sacré soit au fond le principal ressort de l’action, Salammbô, dis-je, et le zaïmph se perdent un peu dans la vaste épopée barbare, se noient dans le flot des épisodes, des descriptions de paysages, de batailles, de sièges, de monstrueuses orgies et de sacrifices sanglans. La fille d’Hamilcar se détache seulement en fine silhouette sur le fond du livre, comme sur les gigantesques parois de son palais, quand elle en descend les longs escaliers