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rapports des chefs de légations, protocoles de séances et de conférences, télégrammes, correspondances de tout genre, notes et dépêches des gouvernemens étrangers, il a tout lu, tout étudié, tout feuilleté, et à l’aide de ces nombreux documens, il a pu suivre les évolutions de la politique prussienne dans l’espace de vingt-trois ans, mois par mois, et souvent jour par jour, heure par heure : — « On sera surpris de voir, nous dit-il, combien de faits importans apparaîtront pour la première fois à la lumière ou se montreront sous un nouveau jour. A la vérité, ajoute-t-il, je n’ai pas cherché à me procurer l’accès d’autres archives par la raison très simple que je n’avais aucun espoir d’en obtenir l’autorisation. »

Il est impossible de porter un jugement définitif sur un livre commencé, dont les premiers volumes, qui nous conduisent jusqu’au mois d’octobre 1864, ne traitent en quelque sorte que des préliminaires du sujet. Mais nous pouvons nous assurer dès maintenant-que M. de Sybel a tenu sa promesse, que surplus d’un point il a su renouveler la matière, qu’il nous apprend des choses que nous ne savions pas et éclaircit des questions que nous connaissions mal. Personne avant lui n’avait raconté avec tant de précision, avec une netteté si lumineuse les grands événemens qui ont agité l’Europe centrale de 1848 à 1850, l’essai infructueux de créer une Allemagne d’où l’Autriche serait exclue, la vaine tentative du parlement de Francfort offrant la couronne impériale à Frédéric-Guillaume IV qui la refuse dans la crainte de se mettre à la merci de la démocratie, mais se dédommage de son refus en groupant sous son patronage les petits états du nord, l’Autriche, remise enfin des violentes commotions où elle avait failli périr, le sommant de détruire son ouvrage, de dissoudre l’union restreinte et de la laisser régler comme elle l’entend les questions de la Hesse électorale et du Holstein, les irrésolutions d’un roi partagé entre l’honneur et l’inquiétude, pratiquant quelque temps la politique de résistance, portant la main à la garde de son épée et finissant par se soumettre, les conférences d’Olmütz, si douloureuses à la fierté prussienne, qui en a tiré seize ans plus tard une éclatante satisfaction.

Grâce à M. de Sybel, nous savons exactement et par le menu tout ce que pensa, tout ce qu’éprouva, tout ce que voulut et ne voulut pas, dans cette crise décisive, un souverain romantique qui, à beaucoup d’esprit, mêlait un grain de folie. Son horreur pour la dévolution, qu’il considérait comme l’œuvre de Satan, l’emportant sur les jalousies que lui inspirait l’Autriche, il ne ressentit guère l’affront qu’elle lui infligeait et que ses sujets eurent bien de la peine à dévorer. Il était presque content d’avoir été battu. « Les concessions qu’on lui avait arrachées étaient conformes aux souhaits qu’il formait dans le secret de son cœur. Comme les cours impériales de Vienne et de Saint-Pétersbourg, il pensait que dans la liesse et dans le Holstein l’autorité