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certains peuples le pratiquent, mais au suffrage absolument universel, au suffrage des femmes, des enfans, des adolescens et des étrangers ; non pas seulement au suffrage absolument universel, mais au suffrage absolument universel continuellement pratiqué et gouvernant directement, c’est-à-dire ou par « gouvernement direct » ou plébiscite quotidien. — Non, il y a des droits du citoyen, que la constitution, que l’état constitué proclame et qui ne sont susceptibles, ni d’exception, ni de prescription, ni d’interruption. Et ces droits, liberté, sûreté, propriété, sont protégés et défendus par l’état et ne doivent pas l’être par le particulier. Et il y a des fonctions qui sont exercées par les particuliers, et qui sont leurs devoirs et non pas leurs droits. Si l’électorat est exercé par le citoyen, c’est donc signe précisément qu’il n’est pas un droit, mais une fonction et un devoir. Et non-seulement il y aurait confusion et contre-sens, mais il y aurait péril social à l’entendre autrement. — Considérations qui s’appliquent du reste aux députés comme aux électeurs. Le député, lui aussi, n’est point portion de souverain, fragment de souverain, exerçant pour sa part un droit de gouverner. Il est un magistrat. Il est un homme chargé, avec d’autres, par l’état constitué, de faire la loi qui, seule, est le souverain. Dès qu’il se considère comme exerçant un droit, il empiète, il est usurpateur ; car il se croit souverain ; il croit que l’assemblée dont il fait partie peut s’attribuer et exercer l’omnipotence, et cela est le contraire même, et est la ruine, de l’esprit du gouvernement parlementaire.

Toute cette partie de l’œuvre de Royer-Collard est si solide qu’elle reste vraie, et précieuse, et féconde en enseignemens, même pour un état politique tout différent de celui qu’il s’appliquait à analyser, à définir, à enseigner. Il est le vrai maître non-seulement en « gouvernement selon la charte, » mais en gouvernement parlementaire, et même en démocratie pour tout le temps où la démocratie se gouvernera par le moyen de parlemens. Il n’a pas seulement fondé « la philosophie de la charte ; » il a fondé et il a exposé avec profondeur et avec une admirable clarté la philosophie du gouvernement représentatif.


IV

Toutes ces idées, il les a soutenues avec éloquence, avec une puissance de dialectique incomparable, qui du reste serait de nul effet aujourd’hui, mais qui faisait une impression profonde dans le temps où il y avait des auditoires capables de suivre une argumentation ; avec une clarté dans la subtilité qui a quelque chose de