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autres, en la divisant. Rien que pour cette raison, sans plus nous occuper de la diversité des intérêts, il faudrait deux chambres. La dualité parlementaire est le principe auquel les libéraux tiennent le plus, et auquel, pour ainsi dire, on les reconnaît, parce que c’est la dualité parlementaire seule, absolument seule, qui empêche que le parlement ne soit une souveraineté absolue. Ils y tiennent encore plus en république qu’en royauté sans doute, parce qu’en république, à cette souveraineté parlementaire il y a une limite de moins ; mais ils y tiennent toujours essentiellement parce qu’il faut diviser toute souveraineté pour l’atténuer, et que, de toutes les souverainetés possibles, sans qu’il y paraisse au premier regard, la souveraineté parlementaire est la plus oppressive. — Elle est plus oppressive qu’un peuple, elle est plus oppressive qu’un roi ; plus oppressive que le gouvernement démocratique direct, plus oppressive que le gouvernement personnel absolu. Le gouvernement direct serait absurde en ce qu’il ne gouvernerait pas du tout, mais il ne serait pas minutieusement et subtilement oppresseur, à supposer qu’il pût fonctionner. Il ne tiendrait qu’à deux ou trois grandes mesures radicales, par exemple, à ce qu’il n’y eût plus d’impôt, ni plus d’armée ; mais il n’aurait nullement le tempérament tyrannique, il laisserait très bien vivre chacun à sa guise, et, pour en parler un instant sérieusement, il se transformerait très vite en une fédération vague de cent mille petites républiques agricoles ou industrielles. Ce n’est pas la liberté qui y périrait. Il est vrai que ce serait la nation.

La souveraineté parlementaire est plus oppressive qu’un roi absolu, parce que l’isolement est une responsabilité qu’il est rare qu’un roi ne sente pas. Un roi est très en vue, étant tout seul l’autorité. A chaque mesure injuste, ou seulement rude, il sait vers qui les yeux se tournent, les plaintes montent, les bras, supplians ou menaçans, se tendent. Ce qui est beaucoup plus rare qu’on ne pense, c’est qu’un roi gouverne contre l’opinion, du moins d’une façon continue. — Il est vrai qu’il fait de temps en temps, et le plus souvent d’accord avec l’opinion, une bévue énorme, qu’en ses lentes délibérations un parlement, surtout divisé, n’aurait pas faite, et qui ruine un grand peuple en une minute.

Le parlement, lui, est oppresseur d’une manière continue, de sa nature même. Il est oppresseur parce qu’il se sent relativement irresponsable, relativement irresponsable parce qu’il est anonyme, anonyme parce qu’il est collectif. Les mesures qu’il prend ne sont signées de personne, sauf des ministres, qu’il rend irresponsables en les faisant dépendans de lui, et qu’il couvre en les absorbant. Il gouverne sans qu’on sache qui gouverne, et à qui précisément