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livre-là. Il en a trouvé un autre, en 1815, où il vit que toute sa politique était renfermée, à le bien traduire ; et ce livre, c’était la Charte. Royer-Collard, comme a très bien dit Rémusat, « a fondé la philosophie de la charte. » C’est là qu’il a trouvé écrit ce qu’il avait dans l’esprit à l’état de système, et dans sa complexion intime à l’état de besoin, l’union de la légitimité et de la liberté : « La charte n’est autre chose que cette alliance indissoluble du pouvoir légitime dont elle émane avec les libertés nationales qu’elle consacre. C’est là son caractère ; c’est par là qu’elle est forte comme la nécessité. » Royer-Collard s’est aperçu en 1815 que, depuis environ soixante ans, les Français n’avaient qu’une question à se poser les uns aux autres quand ils s’entretenaient de politique : Où est la souveraineté ? Est-elle dans le roi ? Est-elle dans le peuple ? Est-elle dans le roi en tant que délégué du peuple ? Est-elle dans le roi en tant que délégué de Dieu ? Est-elle dans le peuple d’une manière immanente et inaliénable ? Est-elle dans le peuple représenté par des délégués qui se réuniront autour du roi, ou sans lui ? — Royer-Collard a répondu : « La question est mal posée, pour cette bonne raison qu’elle ne doit pas être posée. On dit : où est la souveraineté ? Je dis : il n’y a pas de souveraineté. Dès qu’il y a une souveraineté, il y a despotisme ; dès qu’il y a despotisme, il y a, sinon mort sociale, et encore souvent il ne s’en faut guère que cela soit, du moins désordre organique profond. Demander où est la souveraineté, c’est être despotiste, et déclarer qu’on est despotiste. C’est n’avoir pas même le soupçon, le sens et l’instinct de ce qu’est la liberté. »

il n’y a pas de souveraineté, voilà tout l’esprit politique de Royer-Collard. Successivement il s’est tourné vers tous les pouvoirs sociaux, anciens, nouveaux, ou à naître, et à chacun il a dit : vous n’êtes pas souverain.

Il a eu à faire. Car au temps où il vivait, tout le monde, chacun à son moment, ayant été souverain, et tout le monde aspirant à le redevenir, il avait à parler à beaucoup de gens. Il disait au roi : Vous n’êtes pas souverain ; vous êtes gouvernement, ce qui est très différent. Il disait au peuple : Vous n’êtes pas souverain ; vous êtes la force, ce qui est autre chose. Il disait aux membres du parlement : Vous n’êtes pas souverains ; vous êtes législateurs, ce qui n’est pas la même affaire. Le secret, facile certes à démêler, de ses variations, ou plutôt de ses changemens d’attitude, est tout entier là. En 1816, il est avec le gouvernement contre la chambre, et je le crois bien ; car la chambre de 1816 n’est pas autre chose, en ses intentions et son esprit, qu’une convention. Elle prétend gouverner, elle prétend être souveraine : « Vous n’êtes pas souverains ! » — En 1828, il est avec la chambre contre le