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éviter une colère qui dégénérait en fureur et ne connaissait plus d’obstacle, car le despotisme du roi n’avait d’égal que l’abaissement de son parlement, dont les complaisances serviles augmentaient à mesure que se développait l’absolutisme du souverain. Du reste, il avait aidé de tous ses efforts pendant son séjour à Londres à la conclusion de la paix entre le roi très chrétien et l’empereur ; à la consolidation de l’alliance écossaise par le mariage de Jacques V et de Mme de Longueville ; à la réunion du concile décidée en principe. Suivant son désir, plusieurs fois exprimé, Castillon obtint d’être rappelé ; il quitta son ambassade pour occuper la maîtrise des eaux et forêts de Bretagne, dont il avait obtenu la survivance quelque temps avant la mort du titulaire, M. de Toyre. Les lettres de remerciaient au roi et au connétable lors de sa nomination prouvent qu’il avait vivement désiré cette charge, dans laquelle il trouva une existence plus modeste, mais plus calme que dans l’ambassade de Londres. Le désir qu’il témoigne comme ses prédécesseurs d’être remplacé dans ses fonctions ne vient pas seulement de ce que le succès était très difficile auprès d’Henri, l’insuffisance du traitement d’ambassadeur contribuait encore à lui faire rechercher une autre position. En Angleterre, il fallait à Castillon plus d’argent que de paroles, plus de bonne chère que d’artifices ; les complimens et les harangues ne suffisaient pas comme dans certains autres pays.

Au XVIe siècle, les ambassades étaient des postes de confiance auxquels s’attachaient de grands honneurs, mais elles étaient faiblement rétribuées et occasionnaient une dépense considérable ; elles donnaient la possibilité de se ruiner au service du roi. La durée de ces fonctions était en général fixée à trois années, et il était reconnu que, dans ce laps de temps, l’ambassadeur de Rome dépensait 20,000 livres de plus qu’il ne recevait. Castillon dit souvent dans ses dépêches qu’il manque d’argent et qu’il est obligé d’emprunter à de grands intérêts. « Je suis ici à la dépense jusqu’aux oreilles, l’argent de ma dernière année est dépensé et en plus 2,000 écus du mien. Il ne faut pas qu’on pense qu’on fait plus de cas d’un gros par-deçà que d’un grand blanc en France. C’est une coutume générale que les Anglais ne prêtent guère volontiers aux Français. Si vous ne me faites délivrer argent, vous me ruinerez et me ferez recevoir honte et au royaume. »

Les ambassades, et surtout celle de Londres étaient onéreuses ; ceux qui les remplissaient étaient obligés de chercher les moyens de subvenir à leurs dépenses. Marillac, successeur de Castillon, obtint une charge de conseiller au parlement de Paris laissée vacante par de Thou, qui lui-même en recevait une autre. Du Bellay se plaignait de la cherté excessive des vivres et demandait à aller