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qu’y occasionnait depuis plusieurs années la suette que l’on qualifiait du nom de peste, il lui donnait pour la saison chaude une maison à Chelsea sur les bords de la Tamise. C’était celle qui appartenait naguère encore à feu M. More, ce vertueux chancelier décapité pour cause de religion, et de laquelle Érasme a laissé la description. Mais cette cour, où l’on respirait une atmosphère de têtes coupées, de gens emprisonnés, de caresses et de patelinage, n’inspire qu’une médiocre confiance à Castillon. Dans ce lieu,


Il voit fort bien comme l’on entre
Et ne voit pas comme on en sort,


aussi il demande que sa mission finisse et qu’on le rappelle ; il écrit au connétable : « Si le roi entend le train que je tiens à ma négociation, je vous assure qu’il me fera un mauvais tour ; vous connaissez le personnage comme moi, et je ne couche pas encore si gros que mes instructions portent, car je mettrais tout en désespoir et romprais du tout la paille. » Il supplie qu’on l’autorise à rentrer en France. Voyant les nouvelles mesures prises contre la religion catholique, les abbayes confisquées, les couvens supprimés et dépouillés de leurs biens, les religieuses chassées de leurs asiles, il renouvelle ses instances : « Ce roi a perdu l’entendement ; j’ai affaire au plus dangereux et cruel homme qui soit au monde, je vous supplie derechef qu’il vous plaise me renvoyer quérir. Si vous me laissiez ici jusqu’à ce qu’il connaisse qu’il ne doit plus avoir d’espérance du côté du roi, il sera pour me faire un mauvais tour, combien que son ambassadeur me puisse servir d’otage, car il est en sa fureur et il n’y a raison ni entendement en lui. Je vous supplie qu’il vous plaise ne me mettre point en ce danger. »

Castillon avait présent à l’esprit le sort récent de l’écuyer Merveilles, ambassadeur du roi de France auprès du duc de Milan, qui fut pris, condamné et décapité ou moins de trois jours sous le prétexte que sa situation n’était pas très régulière, mais par la véritable raison qu’il déplaisait à l’empereur, auquel le duc voulait plaire. Il n’y avait, dit Du Bellay, aucun homme de ceux qui avaient accoutumé d’aller en ambassade pour le roi « qui n’estimât lui en pendre autant à l’œil. » Aussi demandaient-ils qu’on fit des remontrances ; afin que le droit des gens ne fût pas violé et que les ambassadeurs fussent en sûreté. « Je ferai tomber trente mille têtes si l’on touche à la vôtre, disait François Ier à son ambassadeur. — Mais, sire, aucune n’ira aussi bien que la mienne sur mes épaules. » Et plein de cette vérité, Castillon voulait quitter l’Angleterre pour