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« d’être maître de la mer pendant six heures, » comme Napoléon le proclamait nécessaire. Le projet gigantesque de Castillon paraît avoir été élaboré avec l’ambassadeur d’Espagne, et comme il coïncide avec le moment où François Ier et Charles-Quint eurent une entrevue à Aigues-Mortes, on a été porté à penser qu’il avait obtenu l’approbation des deux souverains. Le roi très chrétien n’accueillit jamais cette proposition ; tout en ayant fait la paix avec son rival, il resta un allié fidèle pour l’Angleterre ; ce fut elle qui, la première, se détacha de la France quelques années plus tard et lui fit la guerre pour complaire à l’empereur. La paix de Crespy-en-Valois qui y mit fin, la plus honorable que la France ait conclue dans le XVIe siècle, fut l’œuvre de Du Bellay. Le traité de Nice, le mariage de Jacques Stuart et de Mme de Longueville avaient vivement mécontenté Henri, et s’il avait d’abord dissimulé sa mauvaise humeur avait fini par éclater. Son ambassadeur avait quitté la France brusquement, d’une façon qui avait paru étrange et sans attendre le présent d’usage au moment du départ. C’était par son ordre que cette conduite avait été tenue sous le prétexte d’un accueil froid fait par la cour de France. Il se plaignit à Castillon de ce que son alliance était dédaignée ; il dit : « Je veux plus qu’une accoustumée amitié, je veux être préféré, et aussi veux-je préférer. Je suis tout résolu de ne me marier en lieu que l’empereur ou le roi ne préfèrent mon amitié à celle qu’ils ont ensemble. — Et pensez-vous, quand vous marierez du costé de l’empereur, qu’il vous veuille préférer au roi, mon maître. Prenez son amitié sans regarder à ses particularités. C’est un grand prince et puissant comme vous savez, et qui peut beaucoup. — Je lui ai tenu, sire, ce propos, écrit Castillon, pour lui donner à connoître que, sans rechercher cinq pieds en un mouton, votre amitié lui est autant ou plus séante que la sienne à vous, et me semble que je lui devois mesler l’aigret parmi le doux, car il n’oublie jamais sa grandeur et se tait sur celle des autres. Il me répondit, branlant la teste : par dieu, j’ai de bons hommes et de bons fossés. » Ces mots : « Je veux être préféré » résument le caractère exclusif d’Henri et son attitude vis-à-vis des deux souverains rivaux ; il voulait être l’allié de l’un à condition que celui-ci serait l’ennemi de l’autre, mais il ne consentait pas à s’allier avec les deux et à voir la paix régner en Europe.

Les questions de la paix ou de la guerre, du concile, du mariage d’Henri n’étaient pas les seuls objets des négociations de Castillon ; d’autres moins importantes, mais encore d’un grand intérêt, tiennent leur place dans sa correspondance. À cette époque où l’imprimerie était à ses débuts, elle était déjà l’occasion de plaintes