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Le bonheur de cette princesse fut bientôt traversé. L’or de l’Angleterre avait détaché d’elle une partie de la noblesse écossaise, tandis que le peuple lui restait fidèle. Les nouvelles idées religieuses amenèrent la guerre avec l’Angleterre. Malgré les secours de la France, l’Écosse succombait ; la reine douairière exposait sa triste situation à ses frères dans une lettre pleine de sentimens élevés : « Je vois bien que Notre-Seigneur n’est encore las à me faire connaître en quoi consistent les grandeurs de ce monde, où il n’y a point de fin aux troubles. Je le loue de tout ; car, par ce moyen, je le connais mieux que peut-être ne ferais-je en prospérité. »

Les troupes envoyées par la France, sous les ordres de M. d’Essé, ne purent empêcher l’armée anglaise de mettre le siège devant Leith ; la reine douairière fut forcée de se renfermer dans la citadelle d’Edimbourg. Elle succomba aux chagrins que lui causaient les événemens, le 10 juin 1560, à l’âge de quarante-cinq ans. Suivant son désir, son corps fut ramené en France et déposé dans le couvent de Saint-Pierre de Reims, où était abbesse sa sœur Renée, qui, elle aussi, avait été désirée par le roi d’Angleterre. Six mois après, Marie Stuart devenait veuve à dix-huit ans ; elle alla, avant de quitter le royaume de France, passer une partie de l’hiver dans l’asile où reposait sa mère.

C’est beaucoup s’attarder auprès de cette princesse, mais elle a tenu une grande place dans les projets matrimoniaux et dans les négociations d’Henri VIII ; son administration en Écosse, sa vie de lutte dans l’adversité, montrent qu’elle aurait apporté de grandes qualités sur le trône qui lui était offert. Aurait-elle pu les déployer, aurait-elle empêché un peu de mal en présence du caractère despotique d’Henri Tudor ? N’aurait-elle pas ajouté un nouveau nom à la liste trop longue des victimes de ce roi, dont les passions étaient sans frein ? On ne peut le dire ; mais, ce qui est hors de doute, c’est qu’elle aurait partout montré la grandeur d’âme qui ne la quitta jamais.


II

Tandis que Castillon remplissait sa mission et négociait dans l’intérêt de son roi, suivant les instructions qu’il en avait reçues, il émettait aussi certaines idées qui lui étaient propres, et c’est là ce qui constitue son originalité. Suivant une expression du temps, « il faisait la guerre à l’œil, » c’est-à-dire qu’il agissait en liberté dans les intérêts de son maître. Il n’était pas de ceux qui