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les deux rois ne portait que sur les corps et les biens, mais que les âmes sont laissées entre les mains de notre seigneur, qu’il ne fallait pas toucher, à l’âme, mais s’occuper seulement des corps et des biens, il s’est écrié : « Eh bien ! puisque le roi mon frère en est là, qu’il n’envoie point d’argent au pape ; l’argent et l’âme n’ont rien à démêler ensemble ; qu’on fasse un patriarche en France ! » Comme le faisait remarquer Castillon, l’alliance entre les deux rois était simplement politique et en dehors de ce qui concernait les affaires religieuses ; mais Henri, qui avait établi sa suprématie religieuse, ne pouvait souffrir celle du pape et voulait la détruire pour le réduire à n’être que l’évêque de Rome.

Cependant la trêve était définitivement conclue et elle devait être bientôt connue du roi d’Angleterre. En apprenant cette nouvelle, il fait bonne contenance et cherche à donner le change à Castillon ; il se dit prêt à avoir une entrevue avec le roi de France dans une maison du littoral entre la Bretagne et Calais pour s’entretenir des intérêts des deux grands royaumes comme précédemment au camp du Drap d’or, comme à Calais et à Boulogne, où il s’était rendu, accompagné d’Anne Boleyn ; il aidera François à devenir le plus grand personnage qu’ait eu la chrétienté depuis cinq cents ans ; il n’y épargnera pas sa bourse, chose bien nouvelle, fait remarquer Castillon, qui le tenait pour l’homme « le plus avaricieux du monde. » Enfin, il est résolu de rester plus que jamais l’ami du roi quelles qu’aient été les instances de l’empereur : « C’est grand déplaisir, sire, lui répond Castillon, que vous ne vous êtes plustôt desclaré comme vous le faictes maintenant ; il semblera peut-être à beaucoup de gens que c’est quand le roy votre frère, qui a eu beaucoup d’affaires depuis deux ans, n’a plus besoin de votre alliance. » Ce retour vers le roi de France provenait de la mauvaise humeur ressentie par Henri de ce que l’empereur avait voulu mettre le roi de Portugal avant lui dans le traité ; son lord du sceau privé, complétant sa pensée en véritable courtisan, appela l’empereur du nom de Jehan Gippon que le peuple espagnol donnait à son grand-père Ferdinand le Catholique à cause de son manque de foi et de ses tromperies. Dans la circonstance actuelle, Henri se plaignait sans motif ; la paix qui venait d’être signée était un bienfait pour la chrétienté, et sa politique, qui tendait à l’empêcher, était mauvaise ; elle s’était conclue mal gré, lui, il en était irrité et jaloux, et il s’efforçait de continuer à semer la défiance entre les deux souverains.

Il n’abandonnait pas son projet de se marier et de prendre une femme en France. N’ayant pu épouser Mme de Longueville, il recherchait une autre princesse française. Castillon