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une autre fois un daim, puis de gros artichauts de ses jardins. Les présens étaient du reste dans les habitudes du temps ; on ne manquait jamais d’en faire un à l’ambassadeur qui prenait congé après avoir rempli sa mission. Les attentions du roi pour Castillon avaient déteint sur le premier ministre, qui était le chef du parti hispanique et montrait ses préférences. « Il tire à la cordelle de l’empereur ; mais son maître lui ayant chanté quelque chanson, il est devenu plus gracieux. » Castillon en profite pour lui demander quel aide, en cas de guerre, on accorderait à son maître, qui maintenant ne se trouverait plus contre l’empereur seul, mais contre l’empereur et le pape, et cela à cause du roi d’Angleterre. Mylord Privéséel[1], « qui met toujours amour devant les armes, » dit que le grand regret de son maître était de n’avoir pu épouser Mme de Longueville, mais que, si sa sœur, Mlle de Guise, était telle qu’on la lui avait dépeinte, et si le roi de France voulait la lui donner comme sa fille pour l’honorer davantage, il la prendrait avec un grand plaisir, et en remercîment il ferait parler à l’empereur du mariage de Monsieur d’Orléans avec Madame Marie, sa fille[2], auxquels on assurerait la restitution du duché de Milan. — Mais comment le roi votre maître témoignerait-il sa reconnaissance de cette alliance ? demande le ministre anglais. — Castillon répond : Pensez-vous que, si le roi votre maître faisait restituer le duché de Milan moyennant ce traité de mariage, il ferait plus pour le roi mon maître que pour lui ? il ferait restituer au fils du roi de France ce qui lui appartient, et ferait duchesse de Milan sa fille, qui maintenant n’a aucun droit sur ce duché ; il aurait marié sa fille à un fils de France sans qu’il lui en coûtât guère, et il serait, comme il l’a toujours désiré, médiateur de cette paix que le pape « brasse ; » il serait plus fortifié qu’avec 20,000 hommes de plus à sa solde. — Rendant compte à son maître de la proposition de mariage faite par l’intermédiaire de lord Privéséel, Castillon disait : « Ce roi me fait toujours la plus grande chère du monde, pensant peut-être que je ne m’aperçois point de ses dissimulations ; s’il vous plaisait autant en faire à ses ambassadeurs, vous leur rendriez un quiproquo. »

Quelques jours après, Castillon ayant fait connaître que le roi de France trouvait bonne l’ouverture faite du mariage de Monsieur d’Orléans, son second fils, et de Madame Marie, cette nouvelle avait été accueillie avec de grandes démonstrations de joie. Cependant Henri prit huit jours pour réfléchir, et au bout de ce temps il le manda, et, « traînassant son langage, » dit qu’il ne voudrait pas

  1. C’est ainsi que Castillon l’appelle toujours.
  2. De son mariage avec Catherine d’Aragon.