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l’empereur en défiance l’un contre l’autre, afin de vendre fort cher son alliance à chacun successivement. Il aurait au moins voulu être le médiateur entre les deux souverains pour tirer quelque avantage du traité et y figurer. L’empereur, dans des vues d’ambition, demandait un concile pour faire condamner l’hérésie de Luther pratiquée par les princes allemands alliés de la France, et le pape, après des hésitations et des retards, avait consenti à le rassembler. Henri était également contraire à ce projet et il avait de bonnes raisons pour cela ; mais la préoccupation qui dans son esprit dominait les autres et l’emportait cette fois sur les questions de la politique et de la religion, c’était celle de son mariage, sans que le cœur y eût cependant une part bien grande. Nous allons voir qu’il poursuivait cette pensée avec cette force de volonté particulière aux Tudor et qu’il apporta dans tous les actes de sa vie.

On connaît généralement l’histoire des six mariages d’Henri VIII ; on connaît moins les négociations matrimoniales qu’il a poursuivies sans succès. Comment dans une vie remplie par six mariages a-t-il eu le temps d’en manquer d’autres ? Le nombre en est moindre que pour sa fille Élisabeth, dont les hésitations conjugales ont trouvé d’éloquens narrateurs ; c’est cependant d’une négociation matrimoniale qui ne se réalisa pas qu’était occupé ce roi au moment où M. de Castillon arrivait en Angleterre.

Les circonstances étaient particulièrement délicates ; les deux rois, qui dans leur jeunesse se ressemblaient par certains côtés de leur caractère, l’amour du plaisir, le désir d’acquérir de la gloire, avaient vécu en bonne intelligence tant qu’ils avaient eu besoin l’un de l’autre. Leur amitié s’était refroidie à mesure que s’affaiblissait l’intérêt qui l’avait fait naître ; en outre, le ministre dirigeant, Thomas Cromwell, en même temps lord du sceau privé, était tout dévoué aux intérêts du roi d’Espagne. La situation était donc mauvaise pour Castillon, qui allait rencontrer des difficultés que n’avaient pas trouvées ses prédécesseurs ; il lui restait cependant un moyen d’action sur le roi, la suite dira comment il en usa. C’était sur une princesse française que Henri VIII avait porté son attention, et l’attrait qu’il ressentait pour elle était très grand. Tout flatteur que fût ce choix, la princesse objet de ses désirs ne pouvait ignorer qu’elle allait succéder à la vertueuse Catherine d’Aragon, répudiée après une union de dix-huit années, à Anne Boleyn, décapitée après trois ans de mariage, enfin à Jane Seymour, sacrifiée à la naissance de son fils par cette parole d’Henri : « Sauvons le fruit, on trouve toujours des femmes ; » que le roi qui la recherchait avait aboli le catholicisme, s’était proclamé le chef suprême d’une religion nouvelle et avait puni du dernier supplice le vertueux chancelier Thomas More, son ancien précepteur, le cardinal Fisher, malgré ses