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semble impossible, il faut savoir se contenter de la politique du moindre mal. Il est, en tout cas, une politique dont tout conservateur doit se garder, c’est celle que, aux débuts de la révolution, a trop pratiquée la droite de la Constituante, celle qui préférait Pétion à Lafayette, Robespierre à Barnave, et les jacobins aux feuillans, — la politique du pire. Attendre le remède de l’excès du mal serait trahir le pays et tromper les suffrages des électeurs, qui ne nomment pas des conservateurs pour aider les démolisseurs.

Si le pays continue à être coupé en deux, si l’ère des persécutions s’éternise, si les intérêts nationaux doivent encore être sacrifiés aux intérêts de parti, il ne sied pas qu’on puisse dire que la faute en est aux conservateurs. Pauvre pays ! pour le satisfaire, et pour gagner la clientèle conservatrice, les républicains n’auraient guère qu’à ravir à leurs frères ennemis, les boulangistes, la devise du banquet de Tours : une république nationale. Une république ouverte, tolérante, respectueuse de tout ce qui est respectable, au lieu d’une république sectaire : voilà ce qu’appelle la grande majorité des Français. Quand le comprendra-t-on au Palais-Bourbon ? On y semble tout prêt à revenir aux erremens anciens ; on n’a de foi que dans la force, dans la contrainte, dans les invalidations, les épurations et toutes les pratiques en usage depuis douze ans. La république, s’écrie-t-on, ne peut désarmer devant des adversaires en armes ; elle ne saurait se relâcher de ses rigueurs devant des vaincus qui n’implorent pas merci.

O hommes de peu de foi ! serais-je tenté de leur répondre ; vous nous jurez, chaque matin, que la république est fondée à jamais, et que toutes les forces de la réaction se briseront contre elle ; à chaque élection, vous nous assurez que c’est le dernier assaut qu’on osera lui livrer ; et, après la victoire, vous n’osez poser les armes et sonner la paix. Vous dites la république indestructible et, à chaque mêlée électorale, vous criez au pays que, s’il ne se serre autour de vous, la république est perdue. O hommes de peu de foi et hommes de peu de clairvoyance ! vous ne voyez pas que ce qui vous semble fortifier la république est ce qui l’empêche de s’affermir ; que vos haines, vos tracasseries, vos persécutions, vos vengeances écartent d’elle ceux que vous devriez attirer à elle. Qu’est-ce donc ? C’est que vous vous obstinez à confondre la république avec le parti républicain ; vous voulez persuader au pays que l’une ne saurait survivre à la défaite de l’autre. Imprudens ! Bien incertaines seraient les destinées de la république, si la France les croyait liées, à jamais, au triomphe de la gauche. Un gouvernement n’a de chances sérieuses de durer que lorsque son existence ne dépend plus des succès électoraux d’un parti. La république ne sera sûre de vivre que le jour où elle aura résisté à la défaite des républicains. Bien