Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/118

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

apporté une éloquence incomparable, faite de trois choses rarement unies : de raison, d’esprit et de sentiment ; jamais son existence déjà longue n’a donné prise à la calomnie ; il a vécu simplement, en républicain d’avant la république ; il a été au pouvoir, et il demeure toujours à son cinquième étage. De quelle façon ce sage a-t-il été traité par son parti, par la gauche dont il avait été l’un des chefs ? On sait comment, et l’on sait aussi avec quelle sérénité de philosophe ce noble esprit affronta l’outrage. La gauche l’a flétri et honni ; elle l’a appelé Judas, parce qu’il ne s’était pas courbé devant les injonctions jacobines ; elle l’a appelé clérical, ce qui est le comble de l’ignominie, parce qu’il avait osé être libéral, même vis-à-vis du clergé. On n’a pas oublié avec quels anathèmes la gauche excommuniait, sous le nom de républicains dissidens, les rares politiques assez désintéressés pour suivre M. J. Simon. Faut-il rappeler par quelles phases décroissantes a passé, dans le camp républicain, la popularité du premier fondateur de la république, M. Thiers ? De quelle autorité jouit, aujourd’hui, le libérateur du territoire parmi les débris des 363 qui, douze ans plus tôt, suivaient éplorés son cercueil ? Les villes qui avaient commandé sa statue n’osent point l’ériger sur leurs places publiques ; c’est un saint rayé du calendrier républicain.

Veut-on un autre exemple ? Aujourd’hui même, à la chambre siège un homme qui a été quatre fois ministre de la république, financier expert qui porte dignement un nom illustre dans la science, lui-même homme de science et homme d’action, intelligence souple, apte à tout, esprit fin, alerte, d’une rare lucidité, étranger à tout fanatisme et à toute superstition, esprit politique s’il en fût, sans passion, sans rancunes, sans illusions. On le soupçonne d’avoir voulu faire des avances aux conservateurs, d’avoir songé à les rapprocher de la république en la leur rendant plus acceptable, cela suffit par exciter contre lui les défiances de la gauche. On cherche à le rendre suspect, on semble prêt à recommencer contre lui la campagne d’insinuations autrefois dirigée contre M. J. Simon. En vérité, de tels exemples ne sont guère encourageans pour les conservateurs, qui ne sauraient avoir, à la bienveillance des républicains, les mêmes titres qu’un Jules Simon ou un Léon Say.

Qu’importent, dira-t-on, les clabauderies de la presse ou de la rue ? L’injustice est le propre des démocraties. Les républicains les moins suspects de concessions aux cléricaux n’ont pas été mieux traités que les modérés. Voyez M. Jules Ferry, l’inventeur de l’article 7, naguère le chef reconnu des républicains orthodoxes ; on avait monté des émeutes pour lui barrer le chemin de l’Elysée. C’est le seul homme qui ait su imposer une direction à la gauche,