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vu bien d’autres, me répondent-ils, mais il y a beau temps que rien ne nous étonne plus.

C’est là, peut-on dire, la queue de la bataille électorale. Des adversaires loyaux se tendent la main après avoir échangé une ou deux balles ; il n’en saurait être de même après l’assaut d’injures et de calomnies qu’on appelle une élection. On sait où en sont nos mœurs politiques. A qui la faute ? Est-ce uniquement à la droite ? Les candidats du gouvernement ont-ils eu le monopole des injures ? Je ne sache pas que les conservateurs y aient échappé. En fait d’accusations mensongères, n’ont-ils point passé par les plus grossières et les plus perfides, car, enfin, ceux qui les font accuser de vouloir rétablir la dîme et la corvée savent bien qu’ils se moquent du peuple. Il se peut que, à droite, on ait fait planer sur quelques honnêtes gens de vagues soupçons de corruption. Mais, encore une fois, à qui la faute, si la politique ressemble trop souvent à un tripot ? Pourquoi la majorité républicaine n’a-t-elle pas su faire la police dans ses rangs ? C’est, en fait de probité et de propreté morale qu’un peu d’épuration n’eût pas été de trop. Depuis combien de temps la considération est-elle un luxe inutile pour un député ou un ministre ? Supposez qu’une chambre soit un cercle, dont les membres soient soumis à un ballottage ; combien de blackboulés sur certains des bancs du Palais-Bourbon ?

Les rancunes de la lutte électorale ne sont point, par malheur, l’unique obstacle à l’apaisement. Pour faire de la politique d’apaisement, il faut changer de politique, et c’est ce que la majorité ne veut ou n’ose. Beaucoup y seraient enclins, mais ils craignent de passer pour tièdes. Que dirait le comité de tel chef-lieu de canton si son député « fléchissait » pour l’application de la loi militaire ou de la loi scolaire ? Nos représentans ne jouent plus, comme à la convention, leur tête sur un vote ; ils ne jouent que leur siège, et ils n’en tremblent guère moins. Le radicalisme est là qui veille et, en dehors de quelques modérés assez haut placés, par le cœur ou par la fortune, pour braver l’excommunication radicale, combien d’opportunistes osent rompre avec les radicaux ? Veut-on faire de la politique de modération, la rupture avec le radicalisme en est pourtant la première condition. Ils ont beau être revenus moins nombreux, les radicaux ont gardé toute leur infatuation. Comme les émigrés de 1815, ils n’ont rien appris et rien pardonné. Ils ont déjà réussi, avec l’ingénue complicité d’une partie de la droite, à imposer à la Chambre un président de leur choix ; ils comptent bien la remettre sous le joug. Ils prêchent l’union, mais c’est pour reprendre la campagne contre l’éternel ennemi, sous les bannières de l’anticléricalisme. En avant contre la théocratie ! s’écriait M.