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Le premier département qui ait plébiscité le général Boulanger est le département de l’Aisne. « Or, me disait, le lendemain, un député de l’Aisne, un républicain, nous avons dans l’Aisne trois groupes ; aucun n’a soutenu le général ; les comités, les états-majors étaient contre lui ; les électeurs n’en ont pas moins voté pour lui. » Cela s’est, plus ou moins, répété ailleurs ; les députés de droite s’en sont émus. Comme il arrive trop souvent en politique, les chefs, menacés d’être abandonnés de leurs soldats, se sont mis à leur suite, pour rester à leur tête. Les impérialistes ont commencé, et de leur part, il n’y avait pas à se scandaliser, le boulangisme n’étant qu’un dérivé du bonapartisme. Les monarchistes ont emboîté le pas ; en se refusant à l’alliance, ils auraient craint de se laisser distancer par les impérialistes, et de voir le mouvement tourner au profit de leurs rivaux. Rester neutre était difficile, ils inventèrent la marche parallèle. La manœuvre avait de quoi tenter. Pour l’emporter, que fallait-il à la droite ? Un appoint de voix aux élections, un appoint de sièges au parlement. Le boulangisme allait le lui fournir. En cas de victoire, le général, disait-on, ne pourrait se séparer de ses alliés ; il n’avait point de parti derrière lui ; les conservateurs seraient toujours le gros de sa majorité ; à tout le moins, il serait toujours obligé de leur faire une place.

Les plus confians imaginèrent la théorie de la trouée. Pour les monarchistes qui rêvaient avant tout une restauration, c’était une duperie. Au lieu d’ouvrir la brèche par où eût passé la royauté, le général lui aurait barré la route. Son avènement n’eût été qu’un rajeunissement de la république ; il nous eût donné une autre république, un consul, un protecteur, mais toujours une république. Nombre de conservateurs ne s’y trompaient point. J’en ai entendu plus d’un, en province surtout, le déclarer nettement : Faute de prince nous prenons le général ; il nous promet une république honnête et tolérante ; qu’il nous la donne ; nous nous en contenterons. Ce qu’ils avaient refusé des mains de M. Thiers, un civil, un vieillard, beaucoup étaient, par lassitude ou par dégoût, prêts à l’accepter des mains du général. En ce sens, le mouvement boulangiste, loin d’être, pour les masses conservatrices, une révolte contre la république, était un acte de résignation à la république. C’était une protestation, non contre la forme du gouvernement, mais contre les procédés de gouvernement, contre la vénalité, contre le fanatisme antichrétien, contre la dilapidation des finances, contre l’oppression des meneurs de gauche. Le général avait inscrit sur son fanion une devise que la gauche a eu le tort de lui laisser : République nationale. Belle devise ! un peu vague assurément, mais pleine de promesses pour un peuple las de la tyrannie de parti. Le sentiment