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rescrits de Guillaume II, ce n’est pas ce qu’ils disent ou ce qu’ils proposent pour la réorganisation économique de l’Europe ; c’est ce qu’ils laissent entrevoir du mouvement intime de la politique allemande.

On ne peut s’y méprendre : il y a une situation nouvelle qui se dégage par degrés à Berlin. C’était à prévoir : l’empereur Guillaume, avec sa jeunesse et son impatience d’activité, tend visiblement de plus en plus à s’émanciper ; il échappe à la tutelle du chancelier ! L’abandon que M. de Bismarck a dû faire tout récemment, avant les rescrits, du ministère de commerce où il a été remplacé par M. de Berlepsch, président de la province rhénane, homme de la confiance du souverain, n’est probablement qu’un incident de cette situation nouvelle. Ce n’est point, bien entendu, que rien soit changé dans les rapports personnels du jeune souverain et de son puissant ministre. A son arrivée récente à Berlin, M. de Bismarck a reçu en gala Guillaume II, qui ne cesse de lui témoigner les égards les plus empressés et de le traiter comme le premier serviteur de l’Allemagne. Assurément, le chancelier garde sa position exceptionnelle, l’ascendant qu’il a conquis avec tant d’éclat, et reste le conseiller supérieur de son maître, l’inspirateur ou le directeur de la politique de l’empire : il est toujours le chancelier ! Il n’est pas moins vrai que plus on va, plus on semble entrer dans cette phase nouvelle où l’empereur cède au désir d’avoir son action personnelle, de choisir ses hommes, de mettre la main dans toutes les affaires, et où le chancelier s’efface plus ou moins volontairement. C’est la suite du désaccord insensible, inévitable entre la jeunesse d’un prince un peu agité et la vieillesse d’un conseiller qui commence à se voir dépassé. M. de Bismarck aurait récemment, dit-on, laissé échapper quelques mots qui feraient croire qu’il a lui-même le sentiment de cet ordre nouveau où tout devrait s’effacer devant un empereur impatient de règne. Si on en était décidément là, ce serait, certes, un fait significatif que les derniers rescrits auraient rendu plus sensible et qui, bien plus que ces rescrits, aurait son importance pour l’Europe comme pour l’Allemagne. On verra peut-être plus distinctement ce qui en sera après les élections du 20 février.

Tout semble aller au mieux pour le moment en Autriche, dans ce pays où les conflits de nationalités se succèdent et où heureusement tout finit le plus souvent par des compromis. Le Reichsrath s’est réuni de nouveau il y a quelques jours à Vienne, et dès la première séance, tout a paru être à la paix entre les partis, entre le cabinet et les diverses fractions de la majorité. C’est qu’en effet la situation parlementaire a été récemment allégée d’une grosse difficulté, et le ministère du comte Taaffe, l’heureux ministère Taaffe a réussi une fois de plus à détourner une crise qui s’envenimait de jour en jour. Pour tout dire, la paix, une paix provisoire si l’on veut, a été rétablie en Bohême, à Prague, entre Tchèques et Allemands ! C’est une question qui ne date