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Ils sont faits pour ne rien grossir et pour ne pas laisser grossir les incidens. Que le ministère fût tombé pour avoir osé, ce n’est même pas sûr, s’il avait su être un pouvoir portant résolument ses responsabilités, parlant un langage sérieusement politique. Fût-il tombé, la question n’était pas moins tranchée par l’éloignement du prince, L’embarras était écarté !

La vérité est qu’après avoir été surpris on a hésité, et qu’au lieu d’en finir, comme on l’aurait pu, on a prolongé pour ainsi dire l’incident par indécision, par une médiocrité méticuleuse ou par de faux calculs. Et à quoi est-on arrivé ? On a laissé les jours s’écouler, les esprits s’échauffer sur une question toujours ouverte, l’aventure se compliquer et prendre des proportions inattendues. Ce n’est pas M. le duc d’Orléans qui s’est fait cette situation dont il est le héros involontairement bruyant ; c’est le ministère qui, par ses procédés, a le plus contribué à mettre en relief devant l’opinion cette figure virile et décidée d’un jeune prince qui, lui, n’a point hésité, qui depuis la première jusqu’à la dernière heure, jusque devant ses juges, n’a cessé de dire avec une bonne grâce mêlée de fierté : « Je ne fais pas de politique ! .. Je ne suis pas allé à la chambre, mais au bureau de recrutement… Je suis venu pour être simple soldat… J’ai voulu servir mon pays au régiment ! .. » — On a voulu avoir un jugement, on l’a aujourd’hui ! M. le duc d’Orléans a été condamné à deux ans de prison sans se défendre, sans vouloir être défendu, sans se perdre dans des subtilités d’interprétation juridique ou de procédure. Il a vaillamment joué sa partie : il l’a perdue devant les juges, c’est possible ; il l’a gagnée devant l’opinion et par la séduction de son attitude et par les paroles émouvantes dont M. Rousse a accompagné cette fière et aimable jeunesse.

Que fera-t-on maintenant de ce condamné embarrassant ? On peut le gracier et le reconduire à la frontière, on en a eu sans doute la pensée. C’est certes ce qu’il y a de mieux. Seulement, ce qui eût été au premier moment l’acte d’une politique intelligente et hardie risque fort de ne plus être qu’un expédient pour se tirer d’une mauvaise affaire. La grâce ne sauvera peut-être pas le ministère et ne peut plus, dans tous les cas, effacer l’éclat de cette aventure. Le gouvernement, par un faux orgueil, pour ne pas paraître reculer devant des manifestations trop bruyantes ou par une faiblesse nouvelle devant des passions de parti, cédera-t-il à la tentation de garder son condamné en prison ? Ce serait prolonger l’incident et les émotions, les excitations qui en sont la suite par une captivité qui ne serait qu’une désignation de plus pour ce jeune prisonnier si bien fait pour parler à l’imagination française. Autrefois, à une époque déjà lointaine, le plus incorrigible des révolutionnaires mis au Mont-Saint-Michel par la république de 1848, Barbes, remué dans sa fibre patriotique par la guerre de Crimée, avait écrit à d’autres révolutionnaires une lettre où