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veille ; il n’a jamais oublié qu’il est Français, et il sait que tous les jeunes Français doivent le service militaire. Il ne se dissimule pas qu’il est sous le coup d’une rigoureuse loi d’exil qui lui interdit le territoire. N’importe, il ne se laisse arrêter par rien ; il décide, dans le généreux entraînement de ses vingt ans, qu’il viendra à Paris réclamer le droit de revêtir la capote de soldat de deuxième classe ! — Et comme il l’a décidé, il l’a fait sans consulter ses conseillers les plus naturels, sans prendre d’autre confident qu’un ami de sa jeunesse, dont il a fait son compagnon de voyage, le complice de son hardi projet. A peine arrivé à Paris, il n’a eu ni colloques ni entrevues avec personne, pas même avec les membres de sa famille. Il est allé d’abord droit au bureau du recrutement, où il a été reçu avec un étonnement courtois et renvoyé à la mairie de l’arrondissement qu’il a habité avant de quitter la France. Il est allé de suite à la mairie, où il a été encore évincé, et, sans plus d’hésitation, sans subterfuge, il s’est adressé à M. le ministre de la guerre lui-même pour lui demander à être inscrit sur le registre de la conscription et à faire ses trois ans de service comme tout bon Français, en ajoutant qu’il « n’entendait, par sa présence à Paris, donner aucun prétexte à des manifestations. » C’est alors seulement, après toutes ces démarches, que le gouvernement paraît s’être réveillé comme en sursaut et qu’un commissaire de police a été chargé d’aller arrêter le jeune prince pour le conduire à la Conciergerie. Le ministère, dit-on, a essayé depuis de laisser entendre mystérieusement qu’il était au courant de tout, qu’il connaissait le voyage du prince. C’est une pure fatuité ; s’il avait été informé, sa conduite serait par trop étrange. La seule explication possible, c’est qu’il n’a rien su, qu’il a été lui-même surpris et qu’il a mis sa police en campagne dès qu’il a été averti. Tout cela a été aussi rapide qu’imprévu et s’est passé en quelques heures !

Qu’y avait-il maintenant à faire ? Ce qu’il y avait à faire, eh, mon Dieu ! c’est bien simple. Il y avait à s’inspirer des circonstances, de la jeunesse du prince, de la générosité de ses mobiles, de la loyale naïveté de cette démarche, et à puiser dans tout cela le conseil d’une résolution hardie, — aussi prévoyante que hardie. Il y avait à s’arranger de telle façon que le lendemain, à la première interpellation qui se serait produite au palais Bourbon, le gouvernement pût répondre que M. le duc d’Orléans était en effet la veille à Paris et qu’il était maintenant à Genève, que tout était fini. — C’était impossible, dit-on. Le gouvernement était lié par la loi d’exil, qu’il avait à exécuter ! Il ne pouvait prendre la responsabilité d’un acte d’autorité discrétionnaire sans risquer son existence devant la chambre, sans s’exposer à être renversé sur le coup ; mais les gouvernemens sont faits justement pour prendre de ces initiatives, pour savoir oser à propos, — et même pour avoir de l’esprit s’ils le peuvent, à défaut de ceux qui n’ont que des passions.