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le revenu des citoyens est évalué par l’autorité, celle-ci ignore dans quelle mesure les apparences d’après lesquelles elle juge sont trompeuses, et il lui est impossible de tenir compte « des causes morales qui affaiblissent l’efficacité du revenu. » Pour expliquer cette dernière phrase, supposons que dans une même localité un général et un capitaine eussent chacun, tout compris, un revenu total de 20,000 francs par an. Eh bien, par rapport aux « exigences morales, » comme la nécessité de tenir son rang dans l’armée et dans la société, le général serait ici moins riche que le capitaine, et une répartition idéale en tiendrait compte. La répartition réelle ne peut pas y faire attention ; elle pèche d’ailleurs le plus souvent par ignorance, de sorte que, s’il n’y avait, que les impôts directs, nombre de gens seraient certainement imposés au-dessous de leurs moyens ; il n’est pas probable, en revanche, que beaucoup de contribuables se laisseraient charger d’une manière hors de proportion avec leur avoir, ils ne manqueraient pas de réclamer et de justifier leur réclamation. Or pour les impôts de consommation il ne peut y avoir d’injustice. Chacun (nous pouvons négliger le petit nombre d’exceptions) consomme en proportion de ses revenus ; chacun connaît ses revenus et tient compte de toutes les circonstances qui en atténuent l’efficacité. On acquitte donc les taxes de consommation en proportion de sa fortune réelle, car ici la dissimulation ne servirait à rien, on en souffrirait même. De cette façon l’injustice causée par les contributions directes se trouve sensiblement atténuée.

Cet argument s’applique plutôt aux gens aisés ; il n’affaiblit pas sensiblement le reproche adressé aux taxes de consommation imposées aux classes inférieures. On réfute ainsi ce dernier reproche : pour déterminer et comparer les charges des divers contribuables, il faut mettre en regard l’ensemble des impôts, droits, taxes, que chacun paie ; comme nous l’avons prouvé ailleurs, chiffres en mains, il est contraire au bon sens de ne comparer que les cotes d’un seul impôt et de juger d’après cela l’ensemble, comme on l’a fait pour le sel. Tel millionnaire paie 2 francs d’impôt sur le sel comme son portier, mais en outre 100,000 francs d’autres impôts que le portier ne doit pas ; c’est l’ensemble qui compte. Ainsi un millionnaire peut ne pas payer d’impôt foncier ; mais il acquittera de fortes sommes sur ses valeurs mobilières ; un autre n’a pas de ces valeurs, mais il a des domaines ruraux ; la fortune d’un troisième sera composée des uns et des autres. C’est

    gagné l’année précédente, ils pourraient se charger trop fortement dans une année où les bénéfices sont moindres. N’insistons pas d’ailleurs sur les très nombreuses déclarations mensongères.