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n’a-t-il pas l’argument que le salut public justifie les moyens ? La science ne conteste pas l’axiome de la nécessité de joindre les deux bouts et recherche les procédés qui permettent de charger les contribuables sans les écraser ; ou plus exactement, comme les procédés sont du domaine de la pratique, elle formule les principes qui doivent nous guider dans la recherche des modes d’application. Le premier de ces principes est que chacun doit être imposé selon ses moyens, ce qui est à la fois juste et pratique ; le second, c’est qu’un impôt unique ne parviendra jamais à remplir les caisses du Trésor ; il faudrait demander aux citoyens de trop grosses sommes à la fois ; elles seraient péniblement et pas intégralement versées, et il y aurait d’autant plus de déchet qu’on ferait plus de fautes de répartition. Le troisième préconise la division de l’impôt en direct et indirect, contrairement aux anciens erremens des économistes, dont la plupart étaient, et quelques-uns sont encore, défavorables aux contributions indirectes.

La science est-elle parvenue à réhabiliter les contributions indirectes ? Nous le croyons. Elle a d’abord montré qu’il y a des contributions indirectes qui ne sont payées que par des gens aisés, par exemple les impôts de mutation et les autres taxes d’enregistrement, à un moindre degré le timbre. D’autres contributions indirectes, comme le tabac, l’eau-de-vie et quelques-uns de moindre importance, chargent seulement des consommations de luxe ou du moins des consommations inutiles, nuisibles même, dont les consommateurs feraient bien de s’abstenir. Il est une troisième classe de contributions indirectes, ce sont les taxes individuelles qui sont dues au moment où l’État rend un service spécial, c’est un paiement pour service rendu, le port de lettre, le tarif télégraphique, etc. Beaucoup de droits de timbre rentrent dans cette catégorie de taxes. Restent les droits de consommation proprement dits, ceux que les adversaires de l’impôt indirect ont plus particulièrement en vue. On leur reproche, pour tout dire en peu de mots, d’être progressifs à rebours, c’est-à-dire qu’ils seraient d’autant plus élevés que le contribuable est plus pauvre.

Voici maintenant les argumens présentés par des auteurs récens en faveur des impôts de consommation. Ces impôts, disent-ils, sont nécessaires pour corriger les inégalités de la répartition des impôts directs. Ces inégalités ont deux sources : la première est que l’on est toujours et partout dans l’impossibilité de connaître le montant vrai des revenus d’un contribuable, la majorité des déclarations étant inexactes[1] ; la deuxième, c’est que dans les pays où

  1. Beaucoup d’industriels et de commerçans ne savent qu’à la fin de l’année combien ils ont gagné, et si on leur demandait de s’imposer en proportion de ce qu’ils ont