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En ce qui concerne l’intérêt du capital et la nature du crédit, deux notions qui se tiennent par certains côtés, des progrès théoriques ont été faits, surtout en Allemagne[1]. Il a été démontré, notamment par le professeur Knies, que la confiance n’est pas l’élément essentiel du crédit, puisqu’un grand nombre d’affaires de crédit, notamment les prêts sur gage, ne renferment pas un atome de confiance. Sans doute la confiance joue un rôle prépondérant dans nombre de transactions, mais son rôle n’est pas universel, et l’on peut y suppléer souvent. Le crédit est simplement une affaire dont la fin ou la conclusion est séparée par un laps de temps du commencement, et il importe qu’une définition réponde bien à la réalité des choses.

L’intervalle de temps qui s’écoule entre le prêt et le remboursement suffit à la rigueur pour expliquer l’intérêt du capital. M. de Bœhm-Bawerk a soutenu cette thèse avec beaucoup de talent, mais, ce nous semble, d’une manière trop exclusive. Il ne veut pas qu’on puisse avoir deux ou trois raisons pour justifier l’intérêt d’un capital prêté, c’est selon lui de l’éclectisme, la raison du temps suffit. Cette raison s’explique ainsi : une chose qu’on tient dans la main vaut pour tout homme plus qu’une chose tout à fait semblable qu’on aura dans un an, on est donc très disposé à accepter 100 francs aujourd’hui sous la condition de payer 105 francs dans douze mois. Dans le système de M. de Bœhm-Bawerk, c’est un simple échange que l’on fait. Le prêteur, n’ayant pas besoin actuellement de ses 100 francs, les passe à un autre qui lui rendra 105 francs en échange. Dans un an, le prêteur retrouvera ses 100 francs, plus 5 francs de prime ou d’intérêt qu’il pourra considérer comme un revenu. Il nous semble qu’il n’y a aucun mal à ajouter : 1° le prêteur, en mettant son argent à la disposition d’un autre, s’en prive pendant un an, abstinence qui lui donne droit à un dédommagement ; 2° le prêteur rend service ; car un capital est un instrument de production : le prêteur a donc le droit de demander, et l’emprunteur est en état d’accorder une indemnité. Il semble qu’on ne saurait jamais trop justifier une institution utile lorsqu’elle est attaquée. Quelle singulière figure ferait notre société si l’on supprimait le crédit, si l’on prohibait, l’intérêt du capital, ou plutôt si l’on était réellement en état de l’empêcher de fonctionner !

Un autre progrès doctrinal réalisé depuis Adam Smith nous paraît bien plus important, c’est la part faite aux entrepreneurs. Adam Smith et ses successeurs anglais, presque jusqu’à nos jours,

  1. Nous devons cependant mentionner ici l’Anglais Stanley Jevons, qui a émis des idées analogues à celles dont nous allons parler ; mais il ne les a pas développées ; il n’en avait pas reconnu toute la portée.