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et les économistes n’éprouvaient pas le besoin d’en démontrer la nécessité. Mais lorsqu’on se mit à l’attaquer, ils se crurent tenus de la défendre, et l’école classique le fit avec conscience. L’école politico-sociale ne s’y crut pas obligée ; quelques-uns de ses principaux membres l’attaquèrent même ou du moins cherchèrent à en affaiblir l’autorité, ou la défendirent mollement ; et, bien que l’humanité ne connaisse pas une seule société civilisée sans propriété, certains auteurs ne se gênèrent pas pour dire : aujourd’hui la propriété existe, mais on pourrait très bien concevoir une société sans propriété. Concevoir ? Que de choses ne peut-on pas concevoir ! Ne peut-on pas concevoir, par exemple, que tous les hommes sont devenus bons et intelligens ?

La propriété la plus attaquée est celle de la terre, et voici les plus forts argumens qu’on met en ligne : 1° autrefois la terre était commune ; il faut donc rétablir la communauté du sol. Supposons entièrement vraie cette assertion, qui ne l’est qu’en partie, comprenez-vous que l’humanité remonte en arrière et reprenne les mœurs d’époques où les hommes étaient sauvages ou barbares, mœurs qu’ils ont quittées en se civilisant ? 2° le travail, dit-on aussi, est la seule justification de la propriété ; ce que vous avez fait est à vous, vous y avez incorporé quelque chose de votre être, mais vous n’avez pas fait la terre, vous n’avez seulement pas fait ce champ, il ne peut donc être à vous. L’homme n’a pas créé la terre, cela est vrai, mais il ne crée ni le pain ni la viande, ni le vêtement, ni les autres objets dont il se sert et dont il ne saurait se priver sans mourir. Il leur consacre seulement son travail. Est-ce qu’il ne fait pas de même pour la terre qu’il défriche, marne, draine, fume, arrose, laboure, herse, bine, dont il récolte ensuite les produits ? Abandonnée à elle-même, la terre n’est guère productive ; 3° D’autres disent : la terre qu’un homme s’approprie ne peut plus servir à un autre ; Dieu a pourtant donné la terre à tous les hommes. Ce que Dieu a voulu, vous n’en savez rien ; mais si vous acceptiez la Bible comme un document religieux qui fait connaître la pensée de Dieu, vous y trouverez des passages nombreux qui confirment le droit de propriété. Le Décalogue en est un. Puis il n’est pas vrai que la terre appropriée ne peut pas servir à un autre. Le cultivateur qui récolte plus de blé qu’il ne peut en consommer échange son superflu contre vos produits, et de cette façon vous obtenez une partie de son blé. Enfin, mettons qu’une terre appropriée par un individu n’est plus disponible pour un autre, la terre ne fait que subir le sort de toutes les choses appropriées, parmi lesquelles il faut compter les alimens, les vêtemens, etc. Les choses que vous consommez ou dont vous vous