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manipulations qui se suivent, dans une même industrie, avant que le produit soit achevé. Ces distinctions ont leur utilité.

Une fois les avantages de la division du travail reconnus, il ne restait plus qu’à en signaler les inconvéniens, car toute médaille a son revers. On en trouva donc, et naturellement aussi on les exagéra. Les occupations constantes de l’homme exercent une influence sur sa vie, ses habitudes, ses goûts, sa santé, et lui donnent un cachet particulier. C’est une observation faite depuis longtemps et que les auteurs de comédies ont largement utilisée en créant des « types, » celui de médecin, de juge, de tabellion, et nombre d’autres. On sait qu’il en est de même pour les professions manuelles : le tailleur et le cordonnier, le maçon et le serrurier, etc.., se distinguent parfaitement. Seulement, pour attaquer la division du travail, on choisit les professions les moins heureuses et peut-être les individus les plus abrutis… par d’autres causes encore. On ne prouve pas beaucoup par la recherche des extrêmes, et ce parti-pris ne facilite pas la découverte de moyens propres à atténuer le mal.

Un phénomène économique de première importance, une vraie révolution industrielle, est postérieure au livre d’Adam Smith, c’est l’introduction des machines et l’extension extraordinaire de la grande industrie qui en a été la suite. Tout ce qui a été écrit de bon sur cette double question constitue un progrès pour la science économique. Ces changemens n’ont pas eu lieu sans causer des souffrances ; mais, l’évolution étant maintenant à peu près achevée, les maux qui accompagnaient la transition sont pour la plupart guéris, et nous pouvons parler de sang-froid de ces matières. Personne ne contestera plus l’utilité des machines ni les services que rend la grande industrie. Grâce à elle, nombre de produits et de jouissances ont été mis à la portée des très petites bourses ; les distances ont été raccourcies d’une manière merveilleuse ; beaucoup d’entreprises autrefois impossibles ont été mises à la portée des hommes ; la population a pu se multiplier impunément, car la machine à vapeur permet de nourrir en Europe 150 millions d’habitans de plus que du temps d’Adam Smith. Sans doute il y a une ombre à ce brillant tableau, la vie de fabrique, ou, plus exactement, la vie dans certaines fabriques, — celles où travaillent les femmes et les enfans, — laisse à désirer ; mais on ne cesse de chercher et d’introduire des améliorations. Espère-t-on arriver à faire disparaître toute souffrance de la terre ?

Il nous resterait à parler de la propriété. Autrefois on la considérait comme un postulat, c’est-à dire comme une chose admise avant toute discussion, car il n’y a pas de société sans propriété ;