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occuper des ouvriers sans les exploiter. Selon lui, quand on demande un travail à un autre homme, on ne lui donne toujours que la moitié de ce qu’il a gagné, on ne lui paie que la moitié de son produit, et tous les hommes qui travaillent pour le compte d’autrui se soumettent à ce procédé spoliateur. Nous ne plaisantons nullement, telle est bien la doctrine par laquelle Karl Marx a cherché à rendre odieux le capital ; selon lui, c’est uniquement un moyen de faire travailler l’ouvrier pendant douze heures tout en ne le rétribuant que pour six. Cela se trouve littéralement dans l’ouvrage si connu de Karl Marx qui porte le titre de : le Capital. Nous ne comptons pas, cela va sans dire, cette doctrine parmi les progrès ; elle n’a eu d’autre effet que d’exciter les ouvriers contre les patrons et de rendre les entreprises plus difficiles, ce qui n’est nullement favorable aux salaires.

Une définition originale du capital nous est venue d’Autriche ; son auteur est le professeur G. Menger, de l’Université de Vienne. Nous avions tort de parler d’une définition ; M. G. Menger se borne à exposer comment s’opère la production, et dans cette exposition le capital apparaît et joue son rôle sous un autre nom ou sous une autre figure. Nous résumerons sa théorie en peu de mots en rappelant que le mot richesses qui a prévalu parmi les économistes français a pour synonyme le mot biens (biens économiques), terme qui se prête mieux aux combinaisons de la pensée et à la description des faits que le mot richesses. Les Allemands divisent les biens en biens productifs (capitaux) et biens de consommation, ces derniers sont tout achevés, prêts à être consommés. M. G. Menger pousse plus loin cette utile division : il nomme biens de premier ordre ceux qui sont prêts à être consommés, et biens d’ordre ultérieur, biens de deuxième, troisième, quatrième ordre, etc., tous les biens qui sont productifs à un titre quelconque (les capitaux). Ainsi le pain est un bien de premier ordre, la farine un bien de deuxième ordre, le blé de troisième ordre, et ainsi de suite. Ce n’est là ni un jeu ni un caprice. L’auteur a su tirer de cette classification des biens un enseignement fécond sur lequel nous ne pouvons donner ici que quelques indications très sommaires, de celles qu’on comprend presque sans explications. Il est évident qu’un kilogramme de pain est toujours plus cher qu’un kilogramme de farine, 1 kilogramme de farine qu’un kilogramme de blé, et que plus on s’éloigne du bien de premier ordre, plus le prix diminue. La raison en est évidente : pour que le blé devienne de la farine, il faut un capital, le moulin, et un travailleur, le meunier, qui ne collaborent gratuitement ni l’un ni l’autre. Ajoutons que l’opération exige du temps et que le temps se paie en économie