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à observer, peut-on nier l’action de lois naturelles, peut-on soutenir que le domaine économique est le même que le domaine moral ?

On répondra encore que l’homme est incontestablement soumis aux lois physiques, puisqu’il est mortel, mais que l’objection porte sur l’action morale. Nous allons aborder ce côté de la question. Établissons d’abord que, si les lois physiques exercent une influence aussi étendue sur la vie économique, il faut en parler avec plus de respect que ne leur en accordent les prétendus réformateurs qui veulent changer la société sans avoir préalablement modifié l’homme. Mais revenons à l’action morale et cherchons à préciser en quoi elle consiste. Il y a lieu de distinguer ici les actes intellectuels des actes moraux proprement dits.

Les actes intellectuels qui concernent les matières économiques consistent à chercher des motifs pour ou contre une entreprise, à peser les avantages et les inconvéniens des diverses solutions qui peuvent se présenter. Un négociant se demande, par exemple, s’il faut faire telle affaire avec New-York ou avec Calcutta ? Si, après avoir bien calculé les deux séries de conditions, il trouve que l’affaire avec Calcutta sera plus avantageuse que l’autre, pourra-t-il néanmoins se décider en faveur de New-York ? Quel homme se fera violence uniquement pour agir contrairement à son intérêt légitime ? Veuillez remarquer que la morale, « l’éthique, » n’a rien à voir dans l’affaire de Calcutta, ni dans celle de New-York. Ainsi donc, si de nombreux actes économiques sont dominés par des forces physiques, d’autres (parfois les mêmes) sont gouvernés par des forces intellectuelles. Quel est maintenant le rôle de la morale ?

La morale est également une force, personne ne le nie. Elle influe sur les actes des hommes, soit directement par la conscience, soit par le respect humain, soit par la crainte de Dieu, soit encore par la crainte de la justice. Sans doute, ces diverses causes ou mobiles de la morale en action sont de valeur très inégale, et nous ne savons pas toujours laquelle agit, mais dans la société il n’en faut dédaigner aucune. La morale est une des inspirations auxquelles la volonté humaine devrait toujours se soumettre. Malheureusement elle est souvent rebelle à son devoir, et dans la vie pratique il est heureux qu’à défaut d’une inspiration de la conscience, certains sentimens moins élevés maintiennent l’homme dans la bonne voie. En tout cas, la morale n’a de prise que sur la volonté, elle ne se trouve pas dans les propositions ou dans les axiomes de la science, mais dans les actes des hommes, elle peut donc entrer en action à l’occasion d’un fait économique. Un entrepreneur embauche des