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s’emploie aussi pour « description de la vie économique » d’un pays ; la nouvelle école préfère même cette acception à l’autre, qui est employée par l’école classique. Supposons que l’auteur ait réellement pensé à la vie économique d’un pays, aux hommes travaillant pour se procurer leur pain quotidien et la satisfaction de leurs autres besoins, et demandons-nous dans quel coin de leur cœur ces hommes auront caché les aspirations « élevées, immatérielles, éthiques et culturales » qui, prétend-on, se dégagent des efforts qu’ils prodiguent pour gagner leur vie, pour atteindre à l’aisance, pour conquérir l’opulence ? Voyez-vous d’ici le cultivateur songeant à ses aspirations élevées en labourant son champ et en récoltant, son blé, le banquier signer ses traites en évoquant ses aspirations immatérielles, le cordonnier, le serrurier, le maçon pensera l’éthique à chaque coup de marteau qu’ils donnent, le pêcheur jeter ses filets en l’honneur des progrès de la culture humaine ! Nous ne nions cependant pas ces aspirations, mais ce n’est pas en luttant pour la vie qu’on les poursuit, c’est plutôt dans les momens où les soucis reposent. La vie économique est une vie de peine matérielle, et les nobles aspirations en consolent les âmes d’élite. Il est évident que ces publicistes allemands mêlent des choses très différentes, les actes de la vie économique, où l’homme est en lutte avec des difficultés matérielles, et les aspirations de la vie morale, qui peuvent se rencontrer sur le même terrain, mais qui n’en sont pas moins parfaitement distincts.

Ce n’est d’ailleurs pas en niant les faits qu’on en a raison. Adam Smith et ses successeurs ont attribué à l’amour de soi, à l’intérêt personnel, à l’égoïsme, — n’est-ce pas trois expressions pour une même chose ? — une grande influence sur les actions économiques des hommes ; l’école politico-sociale croit devoir, au nom de l’éthique, leur en faire un reproche ; mais, le reproche fait, et l’éthique satisfaite, l’école reconnaît expressément que l’homme pense en effet avant tout à soi, et que le nombre des hommes qui se sacrifient pour leur prochain est très modéré. Dans les livres récens, le reproche est ainsi formulé : l’école classique a eu tort de dire que l’homme est uniquement égoïste (personne n’a jamais dit cela), l’homme est aussi accessible aux sentimens altruistes. — Eh bien, vous trouverez cette même proposition ou d’autres analogues en toutes lettres dans les traités d’économistes de l’école classique !

Tout le monde sait d’ailleurs qu’on rencontre fréquemment dans l’homme des qualités opposées, qu’un individu peut être serré dans les affaires économiques et en même temps très large dans le domaine de la charité ou du patriotisme, qu’on peut être égoïste