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pas sans raison que les adversaires de l’économie politique classique ont procédé ainsi. C’est qu’ils ne demandaient pas, pour la plupart, d’améliorer seulement la société, de la faire progresser ; ils prétendaient la transformer. Or la société se compose d’hommes, les hommes ont leur nature, et c’est sur cette nature que la science est fondée. Les réformateurs ne se préoccupaient pas de cette nature, ils l’auraient même volontiers mise en doute, car la science les gênait, et ils ne pouvaient que la contester.

On aura deviné que les réformateurs auxquels nous venons de faire allusion sont les socialistes. Les premiers qui se firent connaître étaient des utopistes, des rêveurs pour qui les hommes et la société étaient une matière première malléable et organisable à merci. Plus tard des politiciens s’emparèrent de cette veine et l’exploitèrent à leur profit. Nous n’avons qu’à nommer Lassalle et K. Marx, et l’on sait qu’ils ont eu des successeurs. Toutefois, les socialistes proprement dits ne sont pas les adversaires les plus sérieux de l’économie politique, et c’est dans le camp même des adeptes de la science qu’une scission s’est produite. Les économistes qui l’ont provoquée se sont déclarés plus ou moins explicitement les partisans de Rodbertus, Marx et Lassalle. Ils étaient jeunes alors et n’ont pu résister à l’éloquence de l’un et à la science très réelle, mais mal appliquée de tous les trois. Un groupe d’économistes allemands se sépara donc, en 1872, au congrès d’Eisenach, avec éclat, de l’école classique, lui reprochant de se complaire dans la théorie et de ne rien faire pour la pratique, de laisser les malheureux croupir dans la misère, sans rien tenter pour les en tirer, et cela par amour du « laisser faire » et par répugnance pour l’intervention du gouvernement. Ils fondèrent une société d’application, dite de la Socialpolitik, se proposant de rechercher les moyens de faire cesser les maux dont on se plaignait, sans reculer devant l’intervention gouvernementale.

La société de politique sociale s’est mise à la besogne et n’a pas tardé à s’apercevoir qu’il n’est pas aussi facile qu’on le croirait d’abord de modifier les relations économiques des hommes. Elle a cependant publié de bonnes monographies, que nous nous sommes empressés d’utiliser, et, depuis lors, quelques-uns de ses membres ont rédigé des traités, dans lesquels ils ont fait valoir leurs points de vue[1]. Nous avons étudié ces traités pour y relever les progrès, bien clairsemés, qui peuvent s’y trouver au milieu de la vieille

  1. En rédigeant des traités, ces savans sont devenus infidèles à l’esprit de la société qui déclarait, au début, que l’humanité n’était pas assez avancée pour formuler une science économique.