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littérature sera toujours tenu de les étudier de près : car ce sont des chaînons essentiels dans le développement de deux genres. De même, et sans vouloir établir le moindre parallèle entre les œuvres, ni entre leur importance respective : Tamerlan le Grand, qui, de berger scythe, par ses rares et merveilleuses conquêtes, devint un très grand et très puissant monarque, est, somme toute, une production médiocre. Il n’en est pas moins vrai qu’elle eut le mérite d’accomplir ce que n’avaient fait ni Lodge, ni Peele, ni Greene, c’est-à-dire d’introduire au théâtre le mouvement et la vie. À ce titre, Tamerlan est une date, parce que Marlowe y a délibérément rompu en visière à certaines tendances et donné à certaines autres un essor incomparable.

Ç’a été, tout d’abord, la déroute de la tragédie pseudo-classique, de celle dont Gorboduc ou Ferrex et Porrex (1562) avait fourni le modèle achevé, de la tragédie toute en discours, où l’on ne meurt que derrière les portans et où la morale est le principal, ou plutôt le seul personnage. C’est, pour le dire en passant, se rendre la tâche un peu facile que de voir là un exemplaire suffisant de la tragédie classique et d’en inférer complaisamment, avec certains critiques, que cette tentative ayant échoué, le génie anglais était décidément rebelle aux « règles. » Gorboduc n’est pas plus une bonne tragédie classique que Tamerlan n’est un bon drame romantique. Mais l’un, malgré ses défauts, est l’œuvre d’un poète, ce que l’autre n’est à aucun degré. Il faudrait, si l’on tenait à juger une fois de plus ce procès des classiques et des romantiques en Angleterre, opposer Ben Jonson à Shakspeare, et non Marlowe à une ombre de poète et de dramaturge. En fait, l’école classique n’avait, en 1587, rien produit de notable, si ce n’est un critique très lin et même trop fin, en la personne de Sidney.

C’est Philippe Sidney qui écrivait, en 1583, ce passage si souvent cité contre les drames incohérens :


Dans les pièces nouvelles, vous avez l’Asie d’un côté et l’Afrique de l’autre, et tant d’autres sous-royaumes, que, quand l’acteur rentre en scène, il doit toujours commencer par dire où il est, car autrement on ne comprendrait rien au sujet. Vous aurez ensuite trois dames qui se promènent, cueillant des fleurs, et vous devrez croire que le théâtre est un jardin.


Puis, ce sera un naufrage, puis l’arrivée d’un monstre, puis une bataille représentée par « quatre épées et quatre boucliers. » Quant au temps, c’est pis :