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Paros ? » J’opinerais plutôt pour une petite chapelle byzantine ornée de mosaïques et consacrée à Eros. À coup sûr, il n’y a rien, dans la poésie anglaise, sinon de plus chaste, du moins de plus parfait comme forme, de plus étincelant et, par suite, de plus intraduisible. Ni Keats, ni M. Swinburne lui-même n’ont fait mieux. Cela est d’une imagination rare, riche, « impeccable, » et qui donne fort à penser sur la prétendue « intempérance » du génie de l’auteur. Qu’il fût libertin ou même athée, c’est possible, quoique nous n’en sachions rien. Mais qu’il ne fût pas entièrement maître de son inspiration, en pleine possession de sa verve et de son style, capable de revenir, quand il le voulait, sur une œuvre, de la polir, de la modérer et de la parfaire, c’est ce qui touche au paradoxe. Héro et Léandre est l’œuvre d’un écrivain consommé. Au fond, c’est même ici le vrai Marlowe, celui qui visait à la gloire littéraire, celui qui avait pris aux poètes grecs et italiens le secret d’une forme achevée et cultivée, digne de Catulle ou de Pétrarque. L’autre pourrait bien n’être qu’un improvisateur tempétueux et volontairement incorrect, qui a jeté Tamerlan ou le Massacre de Paris en pâture aux goûts grossiers de la foule. Celui-là aussi, qu’on ne s’y trompe pas, a son mérite propre, qu’il faut définir. Mais l’autre, l’élève de Cambridge, tout imbu des lettres antiques et du goût italien, le plus correct et le plus peigné des poètes de ce temps (sans en excepter ni Sponsor, ni Shakspeare), ne doit pas être mis au second plan. Si l’une de ses œuvres a eu sa prédilection, c’est sans doute ce court poème, qu’il a légué à son ami Chapman le soin de terminer et qui témoigne une fois de plus de ce qu’on pourrait appeler « l’alexandrinisme » de ce temps.


II

Toutes ces influences, ou populaires, ou savantes, les prédécesseurs de Marlowe les avaient subies comme lui. Tout au moins, il n’avait tenu qu’à Lily, à Peele et à Greene de les ressentir et de les exprimer avec la même force. En quoi donc Marlowe les dépasse-t-il ? D’où vient qu’on lit encore Édouard II, ou bien qu’on ne lit plus guère Endymion ? Quelle nouveauté a-t-il apportée au théâtre et quelle révolution y a-t-il accomplie ?

Si l’on en croyait M. Rabbe, cette révolution aurait été bien moindre qu’on ne l’a cru jusqu’ici. Il y a là, suivant lui, un « lieu-commun » qui « court toutes los histoires du théâtre anglais » et qui consiste à faire dater de Marlowe le drame moderne. « Pour se faire une idée juste du mérite relatif des premiers essais de