accidens particuliers de la forme humaine. Les maîtres archaïques sont au contraire des généralisateurs ; même dans les statues où l’on s’accorde à reconnaître des portraits[1], le type généralisé reparait toujours. Si parmi les statues féminines qui nous occupent, quelques-unes laissent deviner l’étude d’après le modèle vivant, c’est de la part de l’artiste un excès de conscience ou de l’impuissance à s’abstraire de la réalité présente, plutôt qu’un dessein prémédité. Tel est le cas, par exemple, pour cette étrange figure de femme chaussée de babouches rouges à bouts retroussés, à laquelle une épaisse chevelure frisée et des lèvres fortes et charnues donnent je ne sais quel air africain[2]. Quant aux autres, elles sont bien sœurs par le type ; ce sont bien des Athéniennes. Elles ont tous les traits de la race, accusés par une main naïve et sincère. Vous y retrouvez le nez un peu long, le menton plein et fort, les lèvres cernées de ressauts très ressentis qui caractérisent le type attique dans les peintures de vases : les pommettes sont saillantes, les yeux légèrement obliques et relevés vers les tempes. Enfin toutes ont les coins de la bouche retroussés par ce sourire qu’on a fort improprement appelé éginétique, faute de savoir que c’est en réalité une des conventions chères à toutes les écoles grecques au temps de l’archaïsme. M. Heuzey en a donné l’explication dans une page qu’il faudrait citer tout entière : « C’est une pure affectation, une de ces modes conventionnelles par lesquelles les artistes croient ajouter à la beauté humaine. J’y vois surtout une tentation d’expression se rattachant au grand effort original des anciennes écoles grecques pour animer la physionomie[3]. » Ces mots s’appliquent de tous points à nos statues. Si le sourire de leurs lèvres donne à leur physionomie, comme on l’a dit, quelque chose de railleur et d’ironique, gardons-nous d’interpréter cette expression avec nos sentimens modernes, et d’y chercher je ne sais quoi d’énigmatique et de mystérieux. Ce serait un contre-sens que d’évoquer le souvenir de la Joconde. Ces femmes sont des mortelles qui se font pimpantes et souriantes pour plaire à la divinité : les sculpteurs n’ont rien vu au-delà.
Il est intéressant de rechercher comment cette convention a disparu de l’art grec, pour faire place à la dignité sévère du grand style, et par quelle transition des artistes ont été conduits à supprimer le traditionnel sourire des figures archaïques. Interrogeons, pour
- ↑ Par exemple dans la tête de l’ancienne collection Sabourof acquise par le musée de Berlin (Furtwaengler, Collection Sabourof, pl. 3-4), et dans celle qui appartient à M. Jakobsen à Copenhague (O. Hayet, Monumens grecs publiés par l’Association des études grecques, 1877).
- ↑ Éphéméris archéologique d’Athènes, 1883, pl. 8.
- ↑ Catalogue des figurines de terre cuite du musée du Louvre, p. 132.