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réserve les conditions proposées. Déjà, depuis quelques jours, cette modification d’humeur était visible : la reine avait dit à Vauréal : « J’ai fait dire beaucoup de messes pour les âmes du purgatoire, ce sont mes bonnes amies ; mais j’y ai mis pour condition qu’elles inspireraient au roi une bonne résolution. » En conséquence, le 8 mars, le jour même où Asti ouvrait ses portes, elle faisait venir de nouveau l’ambassadeur. « Nous n’avons pas dormi cette nuit, le roi et moi, disait-elle, nous n’avons fait que raisonner, sur le traité que le roi très chrétien a signé avec le roi de Sardaigne et de la fermeté qu’il apporte à le soutenir, nous cédons enfin et nous voulons bien l’exécuter[1]. »

Concession tardive qui, dans le trouble général, ne fut pas même écoutée. Il n’y eut que d’Argenson qui y vit un rayon d’espoir et eut encore assez de crédit sur Louis XV pour le déterminer à faire l’essai d’en profiter. Charles-Emmanuel avait écrit à son neveu une lettre d’excuse banale où il persistait, malgré le contre-temps survenu (c’est ainsi qu’il appelait la surprise d’Asti), à l’assurer de ses dispositions amicales et pacifiques. La réponse dictée à Louis XV fut d’une mansuétude exemplaire absolument exempte de tout ressentiment. — « Personne, lui faisait-on dire, n’est plus persuadé que moi du caractère de vérité, de religion et de candeur de Votre Majesté. » — Et il annonçait de nouvelles instructions adressées à M. de Champeaux, relatives aux circonstances présentes. Charles-Emmanuel mit le satisfecit en poche, pour se justifier devant l’histoire ou pour en faire par la suite tel usage que de raison. Mais il n’en fit pas moins très nettement savoir à Champeaux que, la face des choses ayant changé, les arrangemens pris ne pourraient être maintenus sans de grandes modifications. Dès lors, son séjour à Turin donnant lieu à de fâcheux commentaires, il paraissait convenable d’y mettre un terme. Il faut qu’il s’en aille, disait Charles-Emmanuel à Villette, je le porte sur les épaules. Champeaux dut plier bagages, sans mot dire, et tout lut fini de ce côté[2].

Un seul résultat restait donc de cette noble tentative condamnée à un si triste avortement ; c’était le trouble profond apporté dans les relations des deux armées et des deux cabinets de France et d’Espagne, et puisqu’on allait se retrouver en tête-à-tête et obligé de faire campagne ensemble, rien n’était plus pressé que de faire cesser un état violent de discorde qui rendait tout concert d’efforts

  1. Mémoires et Journal de d’Argenson, t. IV, p. 306 ; — Vauréal à d’Argenson, 15 mars 1746. (Correspondance d’Espagne. — Ministère des affaires étrangères.)
  2. Voir les lettres de Charles-Emmanuel et de Louis XV (8, 25 mars et 5 avril 1746), dans Rendu, p. 178, 180. La lettre de Louis XV porte en marge des notes critiques et railleuses du ministre Gorzegue. — Villette au duc de Newcastle, 22 mars 1756.