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apparue comme le signe funèbre d’une religion trop étroite pour l’esprit moderne et en quelque sorte matérialisée dans ses symboles incompris, dans la lettre de son dogme. — La croix blanche, au contraire, qui étend ses bras sur cette cime des Alpes, éclairée par le soleil d’Orient et qui regarde l’Occident, — me parut le symbole joyeux d’un christianisme élargi, le signe de cette religion universelle et éternelle de l’Esprit qui ouvre hardiment toutes les sources de la connaissance et s’écrie : lumière ! plus de lumière encore ! lumière parle dedans ! lumière par le dehors ! Dieu est partout où il y a de la lumière ! La vérité naturelle, intellectuelle et spirituelle est une. Elle peut s’éclipser dans les ténèbres de l’âme aveuglée par les fumées de la matière ; elle en ressort radieuse chaque fois que parle la vraie conscience de l’humanité, chaque fois que l’âme s’éveille à sa vie supérieure et remonte à sa propre sphère.

Oui, la croix monte sur les sommets : non pas la croix noire, non pas la croix romaine qui signifie obéissance passive, domination des intelligences et des cœurs par un pouvoir absolu et sans contrôle ; mais la croix blanche, la croix universelle des purs mystiques, des sages anciens qui signifie : libre régénération des âmes par l’intelligence des vérités spirituelles, règne de Dieu sur la terre par la reconnaissance et la manifestation des principes intellectuels dans les institutions sociales et religieuses. Certes, l’humanité traverse, en ce moment, au point de vue philosophique, religieux et social la plus pénible des crises. Les doutes actuels sont gros de tempêtes. Les dogmes ont péri dans leur sens littéral et traditionnel sous les coups des sciences naturelles. Un vent de négation a passé sur les plus hautes intelligences de l’époque pour descendre de là dans les couches inférieures de la société. Et cependant, pour celui qui sait écouter les voix intérieures de l’âme collective, surprendre les courans magnétiques qui font osciller la boussole de la pensée, il y a dans les couches profondes de l’humanité et dans la science elle-même une fermentation qui fait pressentir une rénovation religieuse et philosophique. On est loin de connaître la grande inconnue : l’Ame ; mais on ne la nie plus ; on lui rend hommage en l’étudiant ; on devine la preuve de sa réalité dans les faits d’ordre purement psychique, autrefois niés, aujourd’hui constatés. La science a touché l’invisible. La jeunesse le pressent et en frémit d’un frisson nouveau. Comme l’a dit finement M. Eugène-Melchior de Vogué, cet observateur sympathique de la génération nouvelle : tous ces jeunes sceptiques sont des chercheurs qui rôdent autour d’un mystère. Reconnaître qu’il y a un grand mystère à pénétrer, que l’âme humaine en est à la fois le centre et la clé, c’est le commencement de la sagesse et l’un des pôles du sentiment religieux.

N’est-ce pas encore un signe remarquable du temps présent que