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« La petite ville d’Aix, toute fumante, toute bruissante et tout odorante des ruisseaux de ses eaux chaudes et sulfureuses, est assise par étages sur un large et rapide coteau de vignes, de prés et de vergers. » Ce croquis coquet de Lamartine fait comprendre à lui seul qu’Aix a dû être depuis longtemps un endroit fashionable. De fait, il l’est depuis le me siècle, du temps où Pompéius Campanus érigea à sa famille, en guise de tombeau, l’arc d’ordre ionique qui se voit près de l’établissement thermal. Elles sont vides, les huit niches où le patricien de Rome avait placé les urnes et les images de sa femme et de ses enfans, venus pour se guérir, — et pour finir ici. Aujourd’hui Aix, avec sa villa des fleurs, son cercle, son théâtre, ses illuminations et l’orchestre de Colonne, est une des stations balnéaires les plus huppées. La vie élégante et galante y côtoie, avec l’insolence du faux bonheur, les malades sans espoir qui se traînent sous les feuilles tombantes des peupliers. Sans espoir ? Heureusement pour eux, ils en ont toujours ! Car cette vie des bains, avec sa paresse flâneuse et ses contrastes excitans, berce également les rêves prêts à s’éteindre et les espérances qui ne veulent pas mourir. Le soir, les habitués du boulevard bourdonnent autour de la maison de jeu, qui brille comme une ruche de lumière. Cette vie bruyante frôle à peine le lac du Bourget, qui dort là tout près, dominé par les pentes sévères de la dent du Chat. Il n’en est pas troublé dans sa solitude ; une tristesse vivante y plane toujours. Aujourd’hui que le siècle finissant interroge ses origines, il se ressouvient avec émotion du poète qui le charma d’abord[1]. Grâce à la magie de ses vers, ce paysage mélancolique aura toujours le don d’évoquer ce poète et la femme immortalisée par lui. Dans l’histoire de la poésie, le lac du Bourget s’appelle le lac de Lamartine. De ses anses perdues, de son miroir limpide s’est élancé vers des régions inexplorées le génie lyrique de la France au XIXe siècle. Les Grecs, qui honoraient les poètes comme des demi-dieux, auraient peut-être consacré ce souvenir en sculptant dans une des grottes du rivage la muse de Lamartine sous la figure de cette jeune femme passionnée qui se traîne comme une ombre ardente cherchant la vie éternelle dans « les pages de la vingtième année. » — « Son regard, dit celui qui fut aimé de la belle mourante, semblait venir d’une distance que je n’ai jamais mesurée depuis dans aucun œil humain. » Les ducs de Savoie ont leurs monumens dans l’abbaye de Haute-Combe. Assise sur son promontoire comme un sarcophage blanc, elle projette son ombre violette sur les flots bleus. Mais elle a passé sur ce lac sans y laisser

  1. Voir le beau livre de M. de Pomairols : Lamartine, étude de morale et d’esthétique.