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comme symbole d’une pensée et lui imprime son sceau pour les siècles. Là, le paysage devient véritablement l’expression d’un état d’âme, et la mystérieuse harmonie entre l’homme et la nature atteint toute son intensité, parce que son cadre devient l’illustration pittoresque de son plus intime sentiment, de ses plus hautes aspirations.

Tel est le charme de la plupart des sanctuaires antiques et modernes, temples, acropoles, couvens, monastères, lieux de pèlerinage consacrés par de séculaires adorations. En eux se résument et se racontent des chapitres entiers de l’histoire de l’âme humaine. Il y a là beaucoup de rêve, beaucoup de souffrance et beaucoup de pensée pétrifiée. Si chaque été nous ramène des villes à la mer, aux bois, aux montagnes, c’est pour y chercher l’oubli de nos fatigues, de nos misères, de nos tristesses et redemander un peu de force aux élémens éternellement jeunes de la terre. Mais si, d’aventure, nous visitons ces hauts lieux, ne serait-ce pas par un secret désir de revivre les émotions d’êtres plus grands que nous-mêmes par la douleur, par la volonté ou par l’espérance, peut-être aussi de descendre un peu plus avant dans notre propre cœur avec la lampe vacillante de l’éternelle Psyché ?

A diverses époques de ma vie, j’ai éprouvé cette invincible attraction que la solitude des cloîtres exerce sur le cœur troublé ou sur la pensée inquiète. Mais ce qui m’a frappé et ce qu’aucun livre ne m’avait fait comprendre, c’est l’espèce de révélation psychique instantanée et d’extension du rayon visuel en histoire que peuvent nous donner ces vieux sanctuaires, dont le site, la construction et les souvenirs subitement évoqués, ressuscitent parfois, en une minute visionnaire, l’image du fondateur.

J’eus cette impression souveraine pour la première fois, il y a de longues années, en Italie, au sanctuaire de François d’Assise, en Ombrie ; et peu après, non loin de Naples, à celui de Saint-Benoît, au Monte-Cassino. — Je crois voir encore la douce colline d’Assise, la plaine ombrienne, de végétation élégante et si sérieuse, baignée de tons chauds au crépuscule et bordée d’une ceinture de montagnes d’un violet foncé, dont le velours semble savourer, après le coucher du soleil, la pourpre cramoisie et l’orange incandescent du ciel, comme les âmes méridionales s’embrasent de passion ou de mystique amour. J’ai toujours devant les yeux la sombre crypte d’où émergent, lumineuses, les peintures du Giotto, anges et moines d’un dessin aigu et d’une extatique beauté. Là, je compris tout à coup le cœur de François d’Assise, cet enthousiaste de charité et d’amour universel, qui donna une impulsion si puissante au sentiment religieux du moyen âge et, par suite, à l’art de la renaissance. — Je n’ai pas oublié non plus la pyramide du Mont-Cassin, entourée de l’âpre cirque des Apennins et couronnée de