Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/812

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas qu’il n’y aurait probablement pas réussi tout seul, sans un auxiliaire puissant qui lui vint en aide au moment critique et emporta l’affaire de haute lutte, en mettant brusquement un terme aux tergiversations, aux marchandages, aux subterfuges de toute nature dans lesquels se plaisaient, au risque de ne jamais aboutir, le faible souverain et son avide ministre.

Cette intervention victorieuse, ce fut celle de Maurice de Saxe, qui parut tout d’un coup se souvenir ce jour-là qu’il était le frère du roi de Pologne et que la Saxe était son pays d’origine. A tout prix, dit-il lui-même à Louis XV, on devait lui épargner l’extrémité de rencontrer sur le champ de bataille ses anciens compatriotes. Les raisons de sentiment n’ayant jamais exercé sur l’âme de Maurice qu’une assez médiocre influence, j’incline à penser que ce ne fut là ni le seul, ni même le principal motif qui le détermina à se mêler activement, ce jour-là, d’une négociation diplomatique, ce qu’il avait, jusque-là, soigneusement évité. L’idée de mettre l’Autriche dans l’impuissance d’émouvoir l’Allemagne, et l’espoir de rendre ainsi la liberté de ses mouvemens à l’armée que Conti voulait consacrer à la défense du Rhin, contribuèrent, plus que tout autre motif, au zèle qu’on lui vit déployer pour réconcilier ses deux patries.

La difficulté, comme toujours, c’était un chiffre d’écus à déterminer. C’est l’argent qui règle tout ici, écrivait le chargé d’affaires de France. On voulait bien aller jusqu’à 1,200,000 livres au dernier mot. — « Jamais, je n’oserais faire une pareille offre à mon roi, disait Brühl, ce serait vraiment le dégrader ! » — Et le ministre de Hollande était à la porte, prêt à opposer à chaque offre nouvelle une mise plus élevée. Déjà d’Argenson se résignait. — « Nous ne pouvons pas soutenir ce concours, disait-il avec désespoir, cette cour de Dresde est plus basse et plus autrichienne que jamais. » Maurice insista et obtint de Louis XV qu’on allât jusqu’au chiffre de 2 millions, et pour que cette libéralité ne tirât pas à conséquence ailleurs, Louis XV voulut lui en laisser tout l’honneur. — « Sa Majesté, dit d’Argenson au ministre de Saxe, d’après les services signalés que M. le maréchal de Saxe lui a rendus pendant la campagne dernière, et qui viennent d’être couronnés par la prise de Bruxelles, capitale des Pays-Bas autrichiens, est bien aise de lui marquer, par des égards particuliers pour ce qui peut regarder le roi de Pologne, le cas qu’elle fait de ses conseils et de son avis, et c’est, en effet, uniquement sur ses représentai ions qu’elle veut bien offrir jusqu’à deux millions à ce prince. » L’effet fut souverain : Brühl prit peur qu’une affaire de cette importance, traitée directement à Paris, échappât à son influence, et le marché fut conclu moyennant la promesse d’un secret inviolable et l’espoir que