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avait de continuer contre la France une guerre qui jusque-là lui avait peu profité : « C’est, répondit-il, que, si la cour de Vienne était abandonnée, elle se jetterait dans les bras de la France, et c’en serait fait de notre indépendance. » — « Elle n’oserait, reprit vivement le roi, et, si un tel fait arrivait, on s’apercevrait que je suis encore au monde[1]. »

A défaut de la Bavière vendue à l’Autriche, et de la Prusse dont on ne pouvait tirer aucune parole positive, avait-on, pour obtenir l’assurance de la neutralité de l’empire, meilleure chance avec la Saxe et Auguste III ? C’était douteux, car on sait quelle intimité avait régné jusqu’à la dernière heure, pendant la guerre qui venait de finir, entre Auguste et Marie-Thérèse, et cependant de toutes les positions, c’était celle dont il était le plus désirable de s’assurer, car la situation géographique de ce petit état lui donnait une importance qu’accroissait encore l’union dans la personne du même souverain de l’électorat héréditaire de Dresde et de la couronne élective de Pologne.

Il suffisait, en effet, de jeter les yeux sur une carte pour se convaincre que tant que la Saxe, ainsi doublée de la Pologne, restait engagée dans un lien fédéral étroit avec l’Autriche et avec la Russie, elle assurait à ces deux alliés une influence prépondérante sur toute l’Allemagne du Nord. L’Autriche était préservée par elle de toute attaque imprévue sur ses derrières, et la Russie était libre d’accourir au premier appel en traversant sans obstacle les plaines ouvertes qui bordent la Vistule. C’était une double pression exercée ainsi sur l’empire, à laquelle, à la longue, tout en Allemagne devait finir par céder. Qu’Auguste III, au contraire, sortît de la solidarité qui avait existé jusque-là, entre lui et les deux cours impériales, à l’instant tout était changé. Plus de communication habituelle et facile entre Vienne et Pétersbourg ; plus d’entrée commode ouverte aux troupes russes à travers la Pologne ; tout le monde respirait. Le véritable nœud de la situation du Nord de l’Europe était donc à Dresde et à Varsovie ; une étrange complication d’événemens mettait entre les mains débiles et peu sûres d’Auguste la clé des portes de l’Allemagne.

De là, le prix extrême que d’Argenson avait attaché, non sans raison, à détacher la Saxe de l’alliance autrichienne, et à s’assurer de son concours pour maintenir la neutralité de l’empire. Contre l’attente commune, il eut le bonheur d’y réussir et il s’applaudit à bon droit de ce succès dans ses Mémoires, comme de l’acte le plus habile et le plus heureux de son administration. Mais il ne convient

  1. Le comte de Brühl au comte de Loos, — lettre interceptée, 21 mai 1746. (Correspondance de Saxe. — Ministère des affaires étrangères.)