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avait ignoré les incidens de cette nuit solennelle où l’envoyé français avait tenu dans ses mains la cession d’une partie des Pays-Bas.

Quand il apprit ce qui s’était dit dans cet entretien mystérieux (et il n’est pas douteux qu’il finit par en être informé avec plus ou moins d’exactitude), il semble qu’il éprouva une terreur rétrospective. Que serait-il donc arrivé si Vaulgrenant avait eu l’autorisation de se laisser séduire ; si d’un trait de plume, Marie-Thérèse, dont les forces étaient encore intactes ce jour-là autour de Dresde, eût retrouvé la faculté de rappeler pour les concentrer sur la frontière prussienne ses troupes de Flandre et d’Italie ? Trente mille Russes frappaient au même moment aux portes de l’Allemagne qui leur étaient ouvertes par la Saxe et la Pologne. Cerné de toutes parts et délaissé par tous, comment aurait-il fait tête à cette terrible coalition ? Une seule chose l’avait donc sauvé de cette extrémité où sa renommée, sa couronne et sa vie, tout était en jeu : c’était la préférence obstinée donnée par le ministre français à l’alliance prussienne sur toute autre. Mais cette prédilection si peu justifiée (il le sentait bien lui-même), si mal récompensée, pouvait-elle durer toujours et la personne même du ministre qui l’éprouvait ne pouvait-elle pas disparaître du pouvoir ? Quant à la Russie, si la nouvelle de la paix avait arrêté la marche déjà commencée de ses troupes, ses armemens n’avaient pas cessé. L’intimité des deux cours impériales était plus grande et même plus affichée que jamais, et pour resserrer leur alliance, un nouveau traité portant des dispositions plus étendues que celui qui existait déjà était en préparation. Le danger, bien que dissipé, grondait toujours aux extrémités de l’horizon, et il suffisait d’un incident, surtout d’un faux mouvement ou d’une démarche imprudente, pour placer de nouveau la Prusse absolument isolée sur le bord de l’abîme où elle avait failli sombrer.

De là, chez le vigilant monarque, une préoccupation constante, un regard alternativement tourné, et au nord pour voir si le mouvement militaire des Russes ne conservait pas une tournure menaçante, et au midi pour s’assurer si malgré leur apparence d’hostilité déclarée et leurs provocations bruyantes, une entente secrète ne serait pas établie entre l’Autriche et la France, et si, à la faveur d’une paix brusquement conclue, un groupe hostile ne se reforme-rail pas contre lui de ce côté. « L’objet de votre attention, dit-il, dans ses instructions au ministre qu’il envoyait à Vienne pour reprendre les relations diplomatiques, doit être de découvrir les véritables dispositions de la cour de Vienne par rapport à la paix générale, quels sacrifices elle pourrait se résoudre à faire, tant à la France dans les Pays-Bas qu’à l’Espagne pour l’établissement de l’infant Philippe en Italie… si la cour de Vienne, qui chipote déjà avec celle de Versailles, ne serait pas d’humeur de faire un pont