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manqué d’éclat, brûlait de chercher une revanche et n’était disposé ni à rentrer dans la retraite, ni à servir sous un supérieur. Il insista donc vivement pour qu’on lui rendît son commandement et qu’on l’envoyât reprendre ses anciennes positions. Il était bien en cour et sa mère mieux encore, depuis qu’elle s’était prêtée à la tâche ingrate de présenter à la reine la nouvelle favorite, « ce qui constituait à son égard, nous dit d’Argenson, une obligation immortelle. » De plus, Conti avait l’art d’intéresser à ses prétentions tous les officiers généraux qui avaient servi sous ses ordres, et qui craignaient de trouver auprès de Maurice une clientèle favorisée qui leur fût préférée. Une intrigue fut ainsi très bien montée par la princesse douairière et son fils et eut un instant un plein succès. A part le cardinal de Tencin et d’Argenson, tous les ministres promirent à Conti un grand généralat sur le Rhin.

Le prince et ses amis, il faut le dire, faisaient valoir à l’appui de leur désir des raisons qui n’étaient pas sans valeur. Ils représentaient que, si l’armée du Rhin, dans la dernière campagne, n’avait rendu que peu de services, c’est que Marie-Thérèse, tenue en échec par Frédéric, ne sortait pas d’Allemagne et que, pour l’atteindre, il aurait fallu l’aller chercher chez elle, au risque de renouveler les malheurs de l’expédition de Prague. Mais il n’en serait plus de même, disaient-ils, depuis qu’une paix funeste pour nous avait rendu à l’impératrice la liberté de ses mouvemens et que, le front ceint maintenant du diadème impérial, elle exerçait sur toute la fédération germanique une autorité morale dont son génie saurait user. Toute-puissante dans la diète électorale qui venait de la couronner, et se flattant d’être obéie à Ratisbonne comme elle l’avait été à Francfort, elle ne rêvait que de faire lever à sa voix tout l’empire et de l’entraîner à sa suite contre l’ennemi de la patrie allemande. Des exhortations éloquentes à se défier de l’ambition et des cajoleries françaises partaient à toute heure de Vienne et étaient transmises à tous les membres du corps germanique par l’archi-chancelier impérial, l’électeur de Mayence, aveuglément dévoué à tous les intérêts autrichiens. Qu’arriverait-il, disait Conti, si cette femme passionnée réussissait à se faire écouter, si tous les états et tous les cercles bordant le Rhin consentaient à se ranger en armes sous ses ordres ? En face d’une telle éventualité, fallait-il laisser la frontière française dégarnie ? N’était-ce pas s’exposer avoir d’un jour à l’autre renouveler la même péripétie qui, deux années auparavant, avait obligé Louis XV (vainqueur comme aujourd’hui dans les Pays-Bas) à interrompre le cours de ses succès pour courir à la défense de la Lorraine et de l’Alsace envahies ? La présence d’une armée placée en sentinelle entre la Meuse et le Rhin, assez nombreuse pour garder la frontière de Metz jusqu’à Strasbourg, assez forte pour