Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/800

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’imagine que cette réserve ne trompa personne. Le voile de l’anonyme était, en vérité, trop facile à lever ; car l’auteur de cette lettre était certainement le même qui écrivait à Chambrier, le 26 avril, qu’il fallait détacher les Hollandais de la reine de Hongrie en leur serrant le bouton par des opérations vigoureuses.

Quand un témoin désintéressé comme Frédéric, du fond de sa retraite paisible de Berlin, raisonnant à un point de vue esthétique et pour le beau de la chose, avait peine à contenir l’expression de son impatience, on juge l’humeur que devait ressentir le maréchal de Saxe lui-même en se voyant condamné à piétiner sur place et à attendre l’ennemi sur le théâtre même de ses victoires. Obligé de subir cette condition, quoique maugréant assez haut, il demandait au moins que, puisqu’il devait laisser les alliés prendre leurs aises et choisir eux-mêmes le lieu et le moment où il leur conviendrait de l’attaquer, on lui mît en main des forces suffisantes pour être sûr, quoi qu’il arrivât, de leur tenir tête. C’était déjà beaucoup de maintenir une armée française en Italie et même de lui envoyer des renforts ; mais au moins fallait-il que cette division de forces fût la seule, qu’il n’y eût qu’une armée dans le nord et que ce fût lui qui la commandât. ce fut un point qu’il eut encore peine à obtenir, qu’on ne lui accorda qu’après un débat très vif, et ce fut d’Argenson (il faut lui rendre cette justice) qui vint très efficacement en aide à une demande si raisonnable, tant par son action directe dans le conseil que par le résultat de négociations diplomatiques qu’il avait très heureusement préparées pendant tout l’hiver.

On doit se rappeler, en effet, que, l’année précédente, Maurice n’avait pas eu le commandement de toutes les troupes françaises qui opéraient dans le nord. Pendant qu’il s’avançait victorieusement dans les Flandres, une autre armée, parfaitement indépendante de la sienne et placée sous les ordres de Conti, était demeurée en observation sur le Rhin ; puis, n’osant pas s’avancer en Allemagne et obligée de repasser le fleuve, elle avait dû assister de loin à la marche triomphale et au couronnement de Marie-Thérèse. La question était de savoir si cette division, dont l’utilité avait été si médiocre, devait être reproduite dans la campagne nouvelle. Rien d’étonnant que Maurice protestât contre la pensée d’être privé une seconde fois d’une partie des moyens d’action dont il savait faire si bon usage. Mais Conti, qui était revenu de sa triste campagne mécontent de lui-même, et sentant que son rôle avait