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mécontent (surtout depuis qu’il se déclarait satisfait à si bon marché). Il fallait, au contraire, se ménager en lui un avocat qui pût défendre sa cause à Versailles avec la chaleur d’une amitié personnelle et reconnaissante. Elle le combla donc de politesses jusqu’à la dernière heure, et quand le jour de la séparation arriva, on se quitta avec toutes les effusions d’une tendresse mutuelle. Le comte de Noailles reçut, de la main du roi, l’ordre de la Toison d’or, dont son père était déjà pourvu, faveur exceptionnelle dont aucune famille, même en Espagne, ne jouissait ; un grand d’Espagne, le duc de Beurnonville, parent de la famille de Noailles, qui sollicitait vainement depuis longtemps la place de commandant des gardes flamandes, obtint ce poste important sur une demande exprimée par le maréchal.

« M. de Noailles part demain, écrivait malicieusement Vauréal ; le séjour qu’il a fait à Aranjuez finit avec le même agrément qu’il a commencé,.. et je ne doute pas que, dans des mains si habiles, tous ces avantages n’aient tourné au profit du service du roi… J’avais déjà grande opinion de ses talens, mais elle augmente encore quand je vois que, dans un champ couvert de ronces, il a su faire une moisson de fleurs et de fruits. Jusqu’à présent je suis dans les ténèbres, mais il reste encore demain et peut-être attend-il au dernier moment pour me parler. » — Et deux jours après il ajoutait « que, même en partant, le maréchal ne lui avait rien dit, sans doute parce qu’il n’avait rien à lui dire[1]. »

Le scepticisme de Vauréal n’était que trop bien fondé. Le maréchal avait si peu réussi à modérer les prétentions de la cour d’Espagne que ses exigences allaient continuer à peser sur la situation politique et militaire pendant toute la durée de la guerre et devaient exercer, même sur la solution, l’influence la plus fâcheuse.

Noailles, dans ses Mémoires, fait insérer les lettres de complimens qu’il reçut de ses collègues sur le succès de sa mission, et

  1. Vauréal à d’Argenson, 6-8 juin 1746. (Correspondance d’Espagne. — Ministère des affaires étrangères.) — Le récit que je fais de la mission du maréchal de Noailles diffère absolument de celui que le maréchal fait lui-même dans ses Mémoires (rédigés sur ses papiers par l’abbé Millot). Il affirme, en effet, qu’au moment de son départ, le roi d’Espagne (dans une note dont il donne même la date) remit pour tous les temps, entre les mains du roi, son neveu, le sort de la reine, son épouse, et celui de ses enfans, Charles et Philippe. Je n’ai pas trouvé le texte de cette note dans la correspondance d’Espagne du ministère où figurent pourtant les Mémoires remis par le maréchal et les réponses qui lui furent faites. La note ne se trouve pas davantage dans la correspondance secrète de Noailles avec Louis XV, que M. Rousset a trouvée au dépôt de la guerre et publiée. Il est donc impossible de savoir quelle fut la portée exacte de cette communication faîte suivant Noailles in extremis. Tout ce que je puis dire, c’est que j’ai présenté la suite des faits tels qu’ils se déroulent dans la correspondance officielle et tels que le maréchal lui-même les a exposés dans un Mémoire justificatif remis au roi à son retour (16 juillet 1746).