Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/789

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Si Noailles ne comprit pas tout de suite la portée de ce dernier trait, l’explication ne se fit pas attendre : un courrier était arrivé apportant, comme toujours, à la reine, des lettres et des nouvelles de la cour. On l’avisait du mouvement que Wassenaer se donnait et de ses conférences avec d’Argenson, et elle prenait feu sur la pensée qu’on allait encore une fois traiter de ses affaires sans la consulter. — « Eh bien ! dit-elle à Noailles la première fois qu’elle le revit, quel partage les Hollandais font-ils à l’infant ? Il n’est pas considérable, à ce qu’on me dit. » — Et comme Noailles faisait l’étonné et jurait qu’il ne savait pas de quoi on voulait lui parler : — « Eh bien ! reprit-elle, puisque vous êtes si mal informé, nous sommes bien aises de vous apprendre qu’il y a un nouveau projet de paix générale présenté par M. de Wassenaer, et qu’on y donne un très mince partage à l’infant, qu’il y a eu sur cela des conseils tenus à Paris, que le marquis d’Argenson, le maréchal de Belle-Isle et les envoyés de Hollande se sont assemblés chez le cardinal de Tencin, où l’affaire a été discutée dans une longue conférence. »

En réalité, Noailles, qui avait quitté Versailles pendant que les pourparlers avec les Hollandais duraient encore, et avant qu’ils eussent abouti même à l’ébauche de pacification dont j’ai parlé, ne pouvait donner aucun détail sur ce qui s’était passé et dit depuis son départ. Mais eût-il été même mieux informé et plus en mesure de répondre aux questions pressantes de la reine, il aurait hésité probablement à livrer par anticipation à une critique passionnée et à une discussion bruyante un projet vague et des idées encore en l’air auxquelles manquait l’adhésion de tant de parties intéressées. Tout ce qu’il put faire fut donc de promettre qu’il allait écrire, sans délai, pour demander des renseignemens ; mais comme, par la même raison, on se garda bien de les lui envoyer, la défiance une fois éveillée de la reine ne put plus être calmée, et elle déclara nettement qu’elle ne s’expliquerait que sur des propositions fermes dont elle connaîtrait la nature, à la suite d’une négociation où son représentant aurait été admis[1].

Le but de la mission était donc bien réellement manqué, puisque la seule chose obtenue, l’abandon conditionnel du traité de Fontainebleau sous des réserves impossibles à réaliser, n’était qu’une plaisanterie de mauvais goût. Mais Noailles ne voulait pas, même vis-à-vis de lui-même, convenir de son échec, et la reine, malgré sa violence, n’était pas assez dépourvue de la finesse féminine pour ne pas sentir que son intérêt n’était pas de le renvoyer

  1. Mémoires de Noailles ; F.-Ed. Petitot, t. II, p. 443.