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collègue qui prenait ce ton de maître, il le remit assez nettement à sa place dans le rang qui leur était encore commun.

« On ne peut être plus touché, disait-il, que je le suis, monsieur, des avis que vous avez bien voulu me donner sur ce qui peut me regarder personnellement, je les regarde comme des marques de votre bonté et de votre amitié pour moi, et c’est pour y répondre avec franchise que j’aurai l’honneur de vous exposer ici quels sont les principes de mes sentimens et de ma conduite. Je n’ai, dans l’exercice des fonctions que le roi a daigné me confier, d’autre objet que sa gloire et le bien de son royaume, et je ne puis, ni ne dois, avoir d’autres ennemis que ceux qui voudraient sacrifier à leurs vues personnelles d’ambition et d’intérêt, l’honneur de Sa Majesté et les avantages de son état. Vous êtes, monsieur, trop bon serviteur du roi et citoyen trop zélé pour ne point applaudir aux maximes qui me gouvernent. Je me flatte même, que vous m’aurez rendu à cet égard, auprès de Leurs Majestés catholiques, la justice que je mérite ; après tout il me suffit de savoir que je n’ai que pureté et droiture dans les intentions, que je suis isolé de toutes les autres considérations que celle du bien public, et que nous avons l’honneur de servir un maître équitable et bienfaisant. »

Suivait, après quelques mots d’apologie sur la négociation passée, une explication après tout assez raisonnable de la modération qu’il croyait devoir garder dans ses plaintes sur les procédés des Piémontais : « Nous avons l’attention, disait-il, de ne point nous répandre en reproches injurieux et en dénonciations publiques contre la cour de Turin, parce que cette espèce de vengeance ne saurait convenir à une aussi grande puissance que la nôtre, et que, d’ailleurs, il est d’une prévoyance éclairée et d’une politique sage de ne point se fermer entièrement toutes les voies de réconciliation avec son ennemi, dans une circonstance qui ne nous offre rien d’agréable pour le présent, ni peut-être pour l’avenir pour le rétablissement de nos affaires en Italie[1]. »

D’Argenson avait d’autant plus de mérite à garder, dans sa réplique, cette mesure de politesse froide que, pour deviner le traitement dont il était l’objet dans les tête-à-tête de l’envoyé extraordinaire et de la reine, il n’en était pas réduit à lire entre les lignes d’une lettre désobligeante : un témoin bien placé ne lui en laissait rien ignorer. C’était Vauréal, très mécontent d’être laissé à la porte d’une intimité royale où il ne lui était pas donné de pénétrer, sentant d’ailleurs qu’il était sacrifié lui-même avec la politique dont il

  1. Noailles à d’Argenson, 13 mai ; — d’Argenson à Noailles, 27 mai 1746. (Correspondance d’Espagne. — Ministère des affaires étrangères.)