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tourner. Mais Noailles n’essaya pas même un mot d’explication ni d’excuse, et le péché ainsi confessé, d’Argenson et Maillebois durent en être les deux boucs émissaires. Le ministre surtout fut le moins ménagé. Les épithètes de fou et de brutal étaient les plus douces qui fussent habituellement accolées à son nom, et le comte de Noailles, avec l’emportement de son âge, s’exprimait encore plus haut et plus vertement que son père. De tels propos n’avaient rien qui choquât les habitudes, pas plus que les passions de la reine ; heureuse d’être enfin comprise, elle revenait avec complaisance sur ses peines passées, et en sortant de ces épanchemens, Noailles disait volontiers : « Après tout c’est une bonne femme, on l’a calomniée, voyez comme elle m’honore de ses petites confidences[1]. »

Une seule chose dérangeait cet accord : c’est que d’Argenson, toujours ministre à Versailles pendant qu’il était raillé et ainsi cavalièrement exécuté à Aranjuez, ne cessait de cribler l’ambassadeur d’Espagne de remontrances aigres et de récriminations chagrines, revenant sans cesse sur le passé, inconsolable dans le regret de voir son œuvre détruite, et accusant de son échec, bien plus les sottes tergiversations de l’Espagne que la mauvaise foi des Savoyards. Cette note fausse, troublant le concert qu’il voulait établir, importunait Noailles, qui se crut en mesure, en le prenant de haut, d’y mettre un terme. « Il faut absolument, ne craignait-il pas d’écrire au ministre lui-même, faire cesser les plaintes et les récriminations de nos généraux. Cela est essentiel pour M. de Maillebois et pour son fils, et trouvez bon que je vous le dise pour vous-même. Regardez, je vous prie, ce conseil comme venant d’un homme qui ne cherche que le bien et qui voudrait pouvoir procurer satisfaction à tous ceux qui vous appartiennent… C’est un avis que je vous donne en ami, comme un point de politique nécessaire à observer par rapport à vous-même ; mais en même temps, je vous prie de ne point oublier l’entreprise d’Asti et la rupture de votre négociation qui a suivi ; toutes ces circonstances paraissent bien mériter que vous n’ayez pas pour ce prince autant d’égards que vous en avez montré jusqu’ici. » Il écrivait en même temps, à peu près sur un ton pareil, au ministre de la guerre, en le priant de transmettre les mêmes conseils au maréchal de Maillebois.

C’était mal connaître d’Argenson que d’essayer de faire céder ses convictions et plier sa dignité devant des vues de prudence intéressée. Aussi, en recevant cette missive hautaine, la noblesse de son caractère se retrouva tout entière et, se redressant devant le

  1. Vauréal à d’Argenson.