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on le chargeait d’aller réparer les fautes, le roi avait arrangé que chaque courrier emporterait, outre ses dépêches, une boîte cachetée où seraient censés renfermés de petits envois échangés entre les deux reines et leurs familles ; et c’est là que seraient placés les documens confidentiels qu’il conviendrait de soustraire à la connaissance de d’Argenson[1].

Quant à d’Argenson lui-même, qu’il ignorât ou non ces manèges occultes (il est difficile de croire qu’il n’en eut pas au moins le soupçon), il n’en jugeait pas moins convenable de joindre aux instructions du maréchal de Noailles un de ces commentaires de moralité philosophique dont il ne croyait pas l’usage déplacé, même en diplomatie, et dont le ton différait singulièrement de celui des effusions paternelles de Louis XV. C’est par la raison surtout, pensait-il, que le maréchal devait agir sur l’esprit troublé de la reine d’Espagne. — « Que dit-elle donc, cette raison ? écrivait-il à Vauréal au sujet de ce qui arrive. Conseille-t-elle de nous livrer à la passion, de nous venger du roi de Sardaigne, de conserver Parme et Plaisance, ces objets de l’affection de la reine d’Espagne, à quelque danger que cela expose ? de faire des courses et des invasions dans des lieux où on ne pourrait subsister pendant l’hiver ? Est-ce enfin de dégarnir nos frontières pour envoyer renforts sur renforts par-delà les monts ? Il n’y a qu’un moyen de remédier au mal : il faut chasser les flatteurs et les fripons, du moins leur ôter la confiance et la rendre entièrement aux deux généraux, en leur donnant carte blanche pour conduire militairement une affaire toute militaire… Écarter les bons conseils, se refuser obstinément à la vérité, se livrer à l’entêtement et à la flatterie, sacrifier tout à la fureur, méconnaître ses parens, ses alliés, ses bienfaiteurs, se réjouir de la perte d’un remède salutaire, et cela au milieu des plus grands dangers et des plus grands maux, voilà ce qui cause la perte assurée des affaires de l’état. Dès que toutes les forces de la monarchie de Castille sont aujourd’hui en Italie, comme vous nous l’avez dit à plusieurs fois, comptez que cette grande monarchie périra avec l’entreprise italique… Mais au moins, écrivait-il avec désespoir, si l’Espagne veut périr, qu’elle périsse seule[2]. »

En réalité, ce qui, plus encore que les leçons morales de d’Argenson et même que les caresses de Louis XV, devait contribuer à assurer la bienvenue de l’envoyé français, c’était un ordre expédié en même temps au maréchal de Maillebois, en Italie, et dont

  1. Louis XV à Noailles, mars et avril 1746. — Rousset, t. II, p. 196 et 200. — (Mémoires du maréchal de Nouilles, édition Petitot, t. III, p. 422, 429, 435.)
  2. D’Argenson à Vauréal, 23 avril 1746. (Correspondance d’Espagne. — Ministère des affaires étrangères.)