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Majesté sarde et la France, et qu’il valait mieux, par conséquent, profiter de la circonstance que d’exaspérer ces gens-là par des marques inopportunes de ressentiment, qui ne pourraient, que les rejeter dans les bras des Français : nous devions donc, dans mon opinion, nous borner à rapporter les faits à nos cours, sans les accompagner d’aucune réflexion et en laissant nos maîtres en faire tel usage qu’il leur conviendrait. Quant à nous, nous devions profiter de l’occasion qui nous était offerte pour rétablir nos affaires et faire tort à l’ennemi commun. Cette manière de voir ne parut pas très goûtée quand je l’exposai, mais j’ai lieu de croire qu’on en a pourtant tenu compte. » Effectivement, la réflexion porta conseil et le comte de Richecour (c’était le nom du ministre d’Autriche), en rendant compte de l’incident à Marie-Thérèse, au lieu d’en accroître la gravité, s’efforça de l’atténuer. Il se borna à se prêter seulement, le mérite d’avoir trouvé sur place une réponse tournée en épigramme et probablement aiguisée après coup, puisque le récit anglais n’en parle pas : « J’ai répondu à M. de Gorzegue, dit-il, que je lui étais fort obligé de sa communication et que je m’empresserais, d’en informer Votre Majesté impériale, qui avait déclaré tant de fois qu’elle aimerait mieux perdre de son propre bien que de voir le roi en perdre du sien. » — Quant au prince de Lichtenstein, il se mit en chemin sans délai pour aller porter ses troupes sur les derrières de l’armée française, tandis qu’elle serait attaquée de front par les troupes piémontaises sous les murs d’Alexandrie[1].

Un tour diplomatique si bien joué devait aboutir à un succès militaire aussi complet. L’agression, tout à fait imprévue, trouva le maréchal de Maillebois plongé dans la confiance la plus absolue. Il s’y abandonnait avec d’autant plus de complaisance que, ses

  1. Villette au duc de Newcastle, 15 mars 1746. (Correspondance de Turin. — Record office.) — Richecour à Marie-Thérèse, 6 mars 1746 (dépêche communiquée par M. d’Arneth). — On a quelque peine à croire que, le ministre d’Angleterre Turin ayant été pleinement informé du détail de la négociation et ayant communiqué tous ces renseignemens à son gouvernement, le cabinet de Londres n’en ait rien fait savoir à Vienne et que Marie-Thérèse dût rester jusqu’au dernier moment dans l’ignorance d’un fait qui l’intéressait à un si haut degré. C’est cependant ce qu’affirme M. d’Arneth dans son Histoire de Marie-Thérèse et ce qu’il a bien voulu me confirmer par une lettre écrite en réponse à la question que je lui avais faite et à la suite de laquelle il a eu l’obligeance de se livrer à de nouvelles recherches. Il reste convaincu que l’Autriche n’a rien su de ce qui se passait à Turin avant la fin de février et n’a été avertie à ce moment même que par les bruits publics vaguement répandus à Londres. Comment expliquer ce silence observé par le gouvernement anglais envers son alliée sur un point qui les touchait également l’un et l’autre ? Faut-il croire que l’Angleterre, moins intéressée que l’Autriche dans les affaires d’Italie, voyait sans trop de déplaisir l’agrandissement du roi de Sardaigne ? C’est possible, mais je n’oserais l’affirmer. On a peine à se reconnaître dans ce dédale de fourberies et d’intrigues.