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et en tête-à-tête entre des négociateurs officieux, c’est que ceux qui remaniaient si librement la carte de l’Europe n’avaient de pouvoir de personne : ni George, ni Marie-Thérèse, ni Philippe n’étaient consentans ni même prévenus. Avant toute chose il fallait sonder le terrain pour connaître quel accueil chacun des intéressés pourrait faire aux propositions ainsi bénévolement enregistrées en son nom. Et pour le cabinet français, c’était par Madrid que cette enquête devait commencer. Il aurait été imprudent d’y porter aucune proposition nouvelle avant de savoir comment le maréchal de Noailles y serait reçu. Aurait-il l’art de faire oublier les injures passées et de faire agréer pour l’avenir des conseils de modération et de sagesse ?

L’ambassadeur Vauréal, très déçu, à la vérité d’avoir travaillé sans fruit, et peu content, d’ailleurs, devoir arriver un suppléant et un supérieur, n’annonçait rien de bon à cet égard. La reine, suivant lui, loin de s’émouvoir de l’humiliation des armes françaises, laissait éclater une satisfaction malicieuse et presque indécente. — « J’ai vu peu de nouvelles, écrivait-il, reçues avec tant de joie. » — Nulle compassion surtout pour la déconvenue, soit de Maillebois, soit de d’Argenson, deux traîtres à ses yeux justement pris dans leurs propres pièges. Quant à elle, elle avait tout prévu, tout prédit, et triomphait d’être encore à temps de revenir sur des concessions qu’on lui avait arrachées par violence. — « Votre diligence me paraît bien embourbée, écrivait à Noailles Louis XV lui-même en lui envoyant ses dernières commissions pour son départ, nous verrons ce qui en arrivera : vous êtes instruit et sage ; si quelqu’un peut réussir, ce sera vous. »


A vaincre sans péril on triomphe sans gloire.


Et pour lui rendre les premiers momens d’entretien plus faciles, il le chargeait d’une véritable profusion de caresses et de complimens pour chacun des membres de la famille royale. — « Je charge particulièrement, écrivait-il dans un billet autographe à Philippe V, M. le maréchal de Noailles d’assurer Votre Majesté de ma tendresse extrême pour Elle. Il est pleinement convaincu de la nécessité que nous soyons unis à jamais. Je souhaite qu’il revienne satisfait de Votre Majesté et qu’il la convainque que ce que j’ai fait, ce que je fais et ce que je ferai est pour l’accomplissement de ses désirs. Pour la reine, force complimens, amitiés et confiance ; à ma fille, tendresse et amitié. »

Enfin, comme il sentait bien que Noailles ne pourrait même entrer en matière sans entendre mal parler de son ministre, et que la confiance ne serait jamais complète entre lui et le collègue dont